Un petit partage de réflexions suite à la conférence « l’hypersensibilité est-elle une manifestation d’humanité ou une fragilité ?« .
L’évidence
Notre civilisation produit notre mal-être. Nul besoin de tergiverser sur cette part.
Notre société ne nourrit pas nos besoins essentiels d’humains. Elle nous fait tomber « malades » de nous-mêmes, que nous soyons hypersensible, dépressif, compulsif, violeur, junkie, pervers ou en hyper contrôle.
Or oui, en structurant le « nourrissement » (terme adapté aux abeilles et que je vous propose d’utiliser ici) de nos besoins humains, nous pourrions probablement éviter la peur et le mal-être. Idéalement, dès l’enfance.
Mais puisque nous sommes adultes et déjà abîmés, nous avons à pourvoir sur deux plans :
- Le nourrissement de nos besoins
- La guérison de notre être
Cela fait deux choses à gérer et nous pouvons sentir comment nous sommes appelés actuellement par les deux. L’envie de guérir nos blessures, de ressentir l’énergie circuler en nous, de nous sentir libérer, mais l’envie également de transformer l’extérieur au diapason de notre intérieur : vivre des relations authentiques, avoir des activités qui font sens pour nous, pouvoir être soi sans se sentir jugé, se sentir un avec les autres, se sentir utile, se sentir appartenir, partager une vibration commune avec les autres, se relier au sacré et à plus grand que nous, se sentir sécurisé par notre force intérieure et collective et non par des succédanés artificiels.
Il est possible que nos besoins essentiel soient globalement là. Simples, mais jusqu’à présent dans une société qui est incapable d’y pourvoir.
Est-ce que cela veut dire que nos besoins essentiels ne sont pas nourri ? Non, mais c’est comme si nous avions des choix à faire. Nous sommes obligés de sacrifier des parts de notre être pour accéder à un nourrissement prioritaire pour nous.
Renoncer à une part de soi pour assurer un nourrissement
Pour la plupart d’entre nous, un mécanisme d’adaptation a été mis en place pour assurer le nourrissement de certains de nos besoins, même si nous ne l’avons pas conscientisé dans notre vie, et ce depuis l’enfance : la connexion à l’autre pour certains, le sentiment d’appartenance pour d’autres, le besoin de se sentir en sécurité pour beaucoup, et ce d’autant plus que la peur est grande.
- Mais pour cela, pour nous sentir par exemple intégré ou sécurisé, nous avons été obligés d’opérer certains renoncements sur qui nous sommes (puisque la matrice civilisationnelle n’est pas vraiment adaptée à l’humain) : sur notre sensibilité, sur nos goûts, sur des aspects de notre personnalité, sur nos envies réelles, sur ce qui fait vraiment sens pour nous, et sur ce qui ne nous convient pas.
- De plus, à travers le temps, il apparaît que le nourrissement priorisé en sacrifiant une part de nous ne soit pas toujours pleinement nourrissant. Passer une soirée ici, faire cette activité là, déjeuner avec un ami là-bas… Sur le papier, ça devrait nous nourrir… mais quelque chose ne fonctionne pas. Comment se fait ce ? Finalement, peut-on être vraiment nourri, intégré, sécurisé, connecté, aimé en ayant renoncé à une part de nous ? Ou plutôt, en résistant ou en étouffant une part de nous ?
Pour ceux qui n’arrivent pas à sacrifier une part d’eux-mêmes, qui n’arrivent pas à « acheter » une autre identité que la leur, le nourrissement devient le problème numéro 1 car il est faible. Le manque est permanent : intégration, sentiment d’appartenance, relation à l’autre, accomplissement … Tout cela leur échappe et provoque de frustrations et désespoir. Puis amertume. C’est le cas des hypersensibles durs.
Le renoncement et l’aveuglement au renoncement
Le renoncement à soi nécessite un aveuglement. Car il est difficile d’assumer ce renoncement. Faire semblant d’aller bien demande déjà tellement d’énergie, s’il faut en plus assumer que tout ne va pas bien, c’est pour la plupart d’entre nous, trop.
Alors, le renoncement à une part de nous-même nous fait penser que tout va bien dans cette relation, dans ce travail, dans cette expérience… Pourtant, quelque chose nous met mal, ou nous laisse un goût de vide, sans que l’on en comprenne la raison. Et bien souvent hélas, sans que l’on décide d’en chercher la raison. C’est en cela que nous choisissons l’aveuglement.
Ainsi on peut décider de se sentir appartenir à une communauté d’idées ou de convictions et bénéficier d’un fort sentiment d’appartenance, mais sans avoir la liberté de remettre en cause le ciment idéologique qui le fonde, au risque d’être exclu. Ou en tout cas, sans vouloir reconnaître que nous sommes liés là et non libre d’être qui nous sommes. Le léger ou fort malaise qu’il y a en arrière-plan en nous, est souvent suffisamment refoulé pour que le bénéfice de l’appartenance ne laisse aucune chance au malaise d’être creusé.
Et nous pouvons trouver 10000 exemples de comment nous nourrissons notre besoin essentiel en laissant une part de nous derrière. Comment nous entretenons une relation sentimentale qui n’est pas ok pour se sentir aimé ou pour ne pas être seul, comment nous continuons à voir un psy pour se sentir écouté alors qu’au fond quelque chose ne fonctionne pas, comment nous continuons à travailler pour assurer une sécurité financière alors que ce travail ne fait pas sens, comment nous entretenons notre réseau familial ou amical pour nous sentir appartenir, alors qu’une tristesse flotte en arrière-plan à chaque rencontre.
Le renoncement à la part libre en nous est donc une adaptation de notre être pour assurer le nourrissement (laborieux) de nos besoins essentiels d’humain (sécurité, relation, amour, appartenance, connexion, intégration).
Le nourrissement et la sensation de canada dry
Quand on va chercher le nourrissement des besoins essentiels en passant par l’adaptation, donc le renoncement à une part de soi, le nourrissement n’est pas plein. C’est comme du canada dry. Il a le goût, la couleur, mais il manque la part vibratoire. Comme un enfant et un adulte qui jouerait ensemble, l’enfant est en joie de l’instant présent, l’adulte tente de le suivre mais son cœur est moins présent, moins « dedans ». Il fait comme si. Parce qu’il a envie. Mais la vibration n’est pas la même. Parce que lui est chargé. Pas l’enfant.
Avez-vous déjà expérimenté cette envie de ressentir la joie de l’instant présent, mais de sentir qu’il vous échappe ? Nous sommes inquiets. Préoccupés. Pas complètement là. Voir agacés, parfois.
Notre mental prend de la place. Nous sommes en résistance, de notre vibration, de notre innocence, de qui nous sommes vraiment. Comment être vraiment là, alors que la résistance occupe tout notre espace intérieur ?
Après la guérison, vient le nourrissement
Nous tentons vainement de nourrir nos besoins, sans même les conscientiser, alors que nous sommes encore malades de nos renoncements intérieurs. Et nous le faisons de toute bonne foi, avec toute l’envie de vivre qui est la nôtre.
Et puis ensuite, nous partons en guérison, parce que notre course effrénée n’aboutit à rien. Et nous pourrions croire alors que la guérison personnelle suffit. Mais elle ne nous a même qu’à conscientiser enfin, que nous avons des besoins essentiels.
La question du nourrissement des besoins essentiels de l’humain me vient après 4 ans de travail sur l’hypersensibilité, et d’un laborieux processus de guérison personnelle. Ils m’apparaissent à présent dans toute leur évidence et leur simplicité.
Je découvre que oui, j’ai besoin de me sentir appartenir. Oui j’ai besoin de sentir mon utilité, ma place avec les autres. Oui j’ai besoin d’aimer et de me sentir aimée. Oui j’ai besoin de me sentir relier à plus grand. Oui j’ai besoin de me sentir un avec les autres, connectée en profondeur, et oui j’ai besoin de sentir la nature autour de moi et moi part du tout.
Longtemps, je n’ai vu que les blessures intérieures à guérir. Que la conscience, qu’il fallait amener. Mais n’avons-nous pas un monde à créer derrière ?
J’ai ce souvenir alors que je travaillais sur mes émotions dans le cadre d’un stage mission d’âme avec Nicolas Mauran. Tout le monde s’était plus ou moins positionnés sur la mission d’âme d’éveilleurs de conscience. Un bien joli programme, qui m’avait amenée à cette pensée instantanée : oui, mais après, on fait quoi, une fois que la conscience est montée partout ?
Que faisons-nous maintenant que notre conscience est ouverte et que nous découvrons des besoins si simples et si ignorés, des potentialités si extraordinaires, et que tout ça a besoin d’être nourri et de s’expandre ?
Sommes-nous pleinement satisfaits de ce que nous faisons ? De ce que nous vivons ? De nos échanges ? De nos actions ? Nous sentons-nous pleinement nourris ?
Sommes-nous sûr de nourrir ces besoins de façon vraiment vibratoire ? De la façon authentique que nous avons sans doute déjà expérimentée dans d’autres temps (ceux de la druidité, et avant cela peut être, ceux des peuples qui étaient là avant ?).
Décrypter l’intérieur d’abord
D’un point de vue individuel, l’hypersensibilité s’aborde de deux façons.
Quand nous n’avons pas réussi vraiment à nous adapter, quand notre âme à l’intérieur s’est mise en rébellion et sabote tous nos efforts de relation, de connexion, d’intégration, parce que la défiance à l’autre est de mise, nous avons un rapport à nous-même et à l’autre profondément détruit. Parfois mégalomaniaque ! Mais détruit quand même. Envers nous-même : auto-dévalorisant, jugeant, parlant d’insuffisance et de malédiction. Et très sensible à l’autre, comme encore sous emprise de l’autre, en défiance mais de façon souffrante.
La vérité alors sera de comprendre ce qui se passe vraiment entre nous et le monde qui nous entoure, non à l’échelle macroscopique civilisationnelle, mais dans notre microcosme passé et présent : papa, maman, mon boulot, ma meilleure amie, etc. En quoi ça m’impacte, sur quel point sensible ça m’appuie, qu’est ce que je ne supporte pas, en fait, quelles sont mes limites, et quelle est cette part en moi qui me demande instamment de m’adapter à tout prix ?
Car la vérité là : une part en moi me demande de m’adapter, d’accepter ce qui n’est pas ok pour moi. Ce qui m’empêche de prendre conscience de tout ce qui est insupportable à mon âme. Et c’est là où toute l’exigence de notre âme nous apparaît. Ca peut être extrême et déstabilisant. Car elle est sans concession. Mais c’est passionnant aussi car nous n’avons aucune idée de qui nous sommes, au fond. Et nous le découvrons ainsi.
Quand nous avons fait œuvre d’adaptation (et parfois nous sommes inadapté à un endroit et adapté à un autre), nous vivons ce qui a priori doit être vécu : amis, sens, connexion, etc. Nous avons bien sûr besoin d’aller comprendre ce qui se passe vraiment entre nous et le monde qui nous entoure pour reconnaître ce qui ne nous va pas, mais avant cela, puisque nous sommes adaptés, nous avons besoin de connecter le mal-être indéfinissable que nous ressentons avec notre vie. Car le lien avec l’extérieur n’apparaît pas clairement. Pas comme quand nous sommes à vif et bouleversés par des situations de notre vie précises, ou en désespoir évident.
S’il y a adaptation, c’est que la souffrance est plus cachée, plus lancinante, moins intense. C’est comme une sorte de vague intérieure qui vient nous titiller le cœur, surtout quand on s’immobilise. On fuit alors beaucoup l’immobilité, l’inaction, le silence, car quelque chose monte en nous et nous bouffe de l’intérieur à chaque fois que l’espace se crée. La diversion est alors le maitre mot.
La dépression, qui était très courante avant, un peu moins maintenant, est un symptôme de cette fuite. Elle nous tombe dessus au détour de notre vie, et là aussi, nous ne savons pas de quoi elle parle précisément. Mais en vérité, elle parle de tout. Et surtout de la fuite. La dépression répond à la fuite.
Sans la souffrance ouverte de l’inadapté à la société qui n’a rien à perdre, quand nous sommes en partis adapté, nous pouvons nous interroger sur ce qui motiverait la recherche intérieure de la vérité. Quand la souffrance est maitrisée, quand la diversion fonctionne plus ou moins, ou quand le contrôle émotionnel nous permet de rester dans notre statu quo, pourquoi ouvrir la boite de Pandore et réaliser la plongée intérieure qui risque de remettre en cause tant de choses ?
Ce que nous risquons de découvrir
Bien sûr, nous avons la mission d’ouvrir la boite. Mais, l’ouvrir, c’est être prêt à n’importe quelle vérité sur nous. Car nous ne décidons pas de ce qui va sortir. Et si notre monde est construit de telle façon que ça fonctionne à peu près, ça veut dire que nous sommes prêt à remettre en cause certains acquis sur nous. Les acquis peuvent varier d’une personne à une autre. J’en donne quelques exemples ici, mais soyez certain que votre inconscient, mon inconscient, veille au grain et n’est pas forcément disposé à rentrer dans le lard de nos fondements à tout moment (et franchement, c’est ok).
Remettre en cause nos acquis, c’est envisager que :
Nous soyons beaucoup plus vulnérable que nous ne le croyions.
Nous entretenions la force de façon artificielle, comme une cuirasse.
Nous croyons être en puissance mais nous sommes en pouvoir.
Nous contrôlons nos émotions pour faire face à la vie.
Nous nous soumettons à l’implicite des autres.
Nous n’écoutons pas notre ressenti quand il contredit notre mental.
Nous voulons sauver les autres à défaut de nous sauver nous-même.
Nous pensons aller à peu près bien mais notre âme crie help en sous-mains, parfois par le corps.
Nous faisons diversion en permanence pour pas nous retrouver face à nous-même.
Ce que nous pensions nous convenir, ne nous convient pas, en tout cas pas comme ça.
Nous avons des blessures d’enfance que nous ne soupçonnions pas.
Nous sommes en effort… tout le temps.
Nous nous empêchons le désir, l’envie claire, par peur de la déception.
Nous avons renoncé à notre puissance pour mieux nous adapter.
Nous boudons la vie, en réalité, et attendons qu’elle nous rende justice.
Nous avons terriblement peur de la déchéance et sommes prêts à tout pour l’éviter.
Nous sommes persuadés être victime des autres, alors que nous générons notre rapport aux autres.
Etc.
Donc, si je peux résumer, aller quêter le nourrissement de nous besoins sans passer par la case décryptage de notre vérité intérieure nous oblige à beaucoup d’adaptations qui ferment notre cœur et nous mettent en effort. En contrôle.
Or les besoins essentiels de l’humain nécessitent un cœur ouvert pour être nourris.
Si notre cœur n’est pas pleinement ouvert, c’est cette étape, d’abord, que nous devons aller quérir. Et je dirais que sauf exception, pour un occidental, c’est cette étape qui est à mener avant tout.
Accepter toute vérité sur soi vs statu quo
Bien sûr, on peut être ok avec ce que l’on vit et décider de ne pas aller regarder. Et c’est bien normal. Car nous avons peur de sortir du statu quo. La question est : qu’est ce qui nous pousse ?
Y a t-il un désagrément tellement fort dans notre vie actuellement que aller regarder l’intérieur en risquant de remettre en cause notre statu quo serait moins douloureux ?
J’ai une amie, anciennement cliente, qui a réalisé quelques séances avec moi il y a deux ans. Une, puis une autre 4 mois après, puis une autre 3 mois après… Elle avait de telles montées d’angoisse qu’elle a fini à l’hôpital plusieurs fois, croyant faire un infarctus. Malgré ce problème quand même lancinant, toujours d’actualité, elle ne peut jusqu’à présent décider d’aller quérir l’intérieur. Car son statu quo est trop ok. La vie est ok. Par ailleurs.
Vous voyez ?
Cette exigence intérieure peut nous gaver. Nous sommes bien ainsi, pourquoi mon corps, mes émotions viennent chipoter ? Que veulent-elles encore ?!
Une solution pratique pour ne plus résister à cet appel intérieur est le dépouillement. Enlever toute attache (matérielle, relationnelle) est une bonne façon d’être disponible à tout ce que nous dit notre intérieur. Ca ne veut pas dire que ça n’existe plus. Ca veut dire que tout peut s’arrêter à tout moment et que nous l’acceptons par avance. Mais le dépouillement, souvent, nous ne le choisissons pas. La vie nous l’apporte. Et ce qui était une calamité jusque là devient une liberté extraordinaire. Car nous ne dépendons de rien. Et rien ne nous fait peur. Puisque nous n’avons rien à perdre. C’est pourquoi le processus est si extraordinairement intense et rapide pour certains hypersensibles. Il est explosif à la mesure du non-nourrissement de leur vie…
Et à la question, comment nourrir vibratoirement nos besoins essentiels quand notre plongée intérieure nous a permis de ne plus rien craindre ? Je pense que l’on peut créer ces espaces de « nourrissement », comme le fait Bran Du quand il guide ses rituels druidiques en Brocéliande, comme le font les personnes qui animent des cercles de paroles pour libérer des émotions et partager la vulnérabilté (comme moi, ou Solène), comme le font les personnes qui créent des ateliers de danse, de chant, de musique, d’art partagé, comme le font ceux qui proposent des pratiques de reliance à soi (yoga kundalini, méditation, tantra) et à plus grand (comme Luc Bodin), comme le font ceux qui créent des espaces de rencontre comme Agathe.
Et évidemment, créer une communauté pouvant générer un sentiment d’appartenance autour de tout cela, ce serait chouette 🙂