Dans cet article, je reviens sur ce qui nous empêche de faire bouger les choses, et pourquoi on ne fait rien, ou mal.
Je m’appuie sur l’expérience de S., une cliente toute récente avec qui l’échange commence bien 😀
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S. n’en peut plus de sa situation. Elle veut bouger, elle veut y faire quelque chose. Elle aimerait créer son entreprise, mais elle se sent débordée par sa vie familiale, à bout, fatiguée, sans énergie et sans vision claire. Elle n’arrive pas à se sentir déterminée. Elle se sent en colère en fait, et elle n’arrive pas à se débarrasser de cette émotion qui la bouffe intérieurement.
Ce qui est intéressant dans cette expérience, c’est son questionnement : comment puis-je me débarrasser de cette colère pour avancer ? Car il y a un loup.
On ne peut nier sa profonde motivation à avancer. Mais néanmoins, quelque chose bugue. Car cette colère, elle sait très bien quoi en faire. Elle tourne autour de La Piste depuis un moment, elle sait qu’elle peut prendre RDV et mettre de la lumière sur cette colère. Puis s’en débarrasser.
La question est formulée, comme d’habitude, sous la forme d’un comment. Mais évidemment, le comment n’est jamais, jamais la question. Car on trouve toujours le comment. Ca prend du temps. Mais on le trouve. Et là, S. a déjà la réponse. Le comment c’est moi (ou quelqu’un d’autre, mais là je suis là). Donc la question n’est pas là. La question, c’est ce que son inconscient ne lui délivre qu’en arrière plan et qu’elle a du mal à se formuler clairement : si elle travaille sur elle là, maintenant, c’est pas juste.
La bouderie
En réalité, S. boude.
Elle aimerait ne pas avoir à travailler sur elle car ce qu’elle demande là est juste et devrait lui être dû : le respect, la reconnaissance pour ce qu’elle fait, l’écoute. Elle ne se le formule pas de façon très claire, mais c’est bien là, en arrière plan. Ca devrait lui être donné.
Or si S. estime qu’elle devrait recevoir cette énergie de reconnaissance, d’attention, elle ne peut pas travailler sur elle. Car elle va résoudre le problème avec ton temps et son énergie, son fric à elle, alors que c’est les autres qui devraient le faire. Ce serait carrément injuste, en fait.
Vous me suivez ?
Ma propre exigence
Cet échange que j’ai eu avec elle m’a interrogée. Je me suis demandée si moi aussi, malgré toutes mes bonnes dispositions, je ne m’étais pas aussi enferrée dans une question de principe qui m’aurait empêcher de faire le taf pour moi. Il m’est alors venu que j’avais quand même passé 20 ans à ne pas dormir, et que globalement, je n’y avais rien fait pendant 17 ans, à part prendre des anxiolytiques, tenter les somnifères et fumer de l’herbe. Evidemment, ça ne marchait pas, pas pleinement pour l’herbe et à court terme pour les médicaments. Mais je me rappelle précisément une pensée, une exigence en arrière plan, que je ne me suis pas formulée clairement alors, mais qui était bien là : j’ai le droit de dormir. J’ai bien le droit de dormir.
Ce qui nous renvoie à nos droits, à nous, d’humains.
A quoi avons-nous droit ?
A rien. Et à tout.
Rien ne nous est dû, et rien ne nous sera donné parce que nous y aurions droit.
Rien ne nous sera refusé si nous faisons en sorte.
Mais rien, rien ne nous est dû. Et tout peut nous être refusé.
Je pense à L. qui espère éternellement des relations amoureuses apaisées qui ne finissent pas à l’HP (pour lui, pour d’autres, ce serait échapper à l’ennui mortel), et qui recommence le même schéma éternel : séduction (qui fonctionne car il est magnétique), intensité, apocalypse, HP.
Va t-il faire quelque chose de différent pour ça ?
Que nenni. Il recommence éternellement le même schéma. Avec le même espoir, que cette fois-ci, ça lui soit donné. Car … ça lui est dû. Non ? Vivre une relation amoureuse apaisée. C’est bien le minimum que nous doive la vie…
Je pense aussi à M., qui espère vivre une relation amoureuse (lui aussi) intense (ça il sait faire) et réciproque. A chaque échec, retour sur une appli de rencontre. Cette fois là ce sera la bonne. Et quoi ? Que se passe t-il derrière ? Le même schéma. L’espoir. Le « ça m’est bien dû ». Et la déception. Zut, encore.
Nous pouvons vivre un enfer sur terre et que cet enfer soit notre expérience, jusqu’à la mort, ou jusqu’à maintenant, jusqu’à ce qu’on décide de faire quelque chose de différent.
Et donc non, apparemment, je n’avais pas le « droit » de bien dormir. Ce n’était pas un dû. Je devais faire quelque chose que je n’avais jamais fait. D’autres dorment bien… mais ils expérimentent d’autres difficultés. Mon expérience a été de ne pas dormir. Allais-je vraiment exiger pendant 18 ans, de dormir là tout de suite en prenant des trucs à court-terme pour dormir là maintenant, observer que ça ne marche pas, et ne rien faire de différent en attendant ? Oui !!! C’est ce que j’ai fait.
D’autres exemples me viennent
En écrivant, d’autres exemples me viennent en tête.
K. vient me voir car elle est désespérée. De tout. La séance est très mentale, très en résistance. Impossible de la faire aller dans son ressenti. Ça arrive rarement, mais quand ça arrive, c’est chaud. Et je m’escrime alors à faire avancer K. La vérité, c’est qu’elle ne veut pas. Enfin, qu’il y a deux parts en elle. Une part consciente qui veut. Et une autre part qui dit « Oui, mais je ne vois pas pourquoi je bosserai sur moi à ce point alors que les autres sont de gros e….. et qu’ils m’ont gâché la vie ». Et ça se sent énergétiquement. Il y a une défensive de ouf, qui dit « Viens pas me chercher ma vulnérabilité parce que je vais mordre ». Tout en me disant « Quoi ? Mais bien sûr que je veux être vulnérable et faire le taf, bien sûr, vas-y, pose moi des questions ! ».
Le discours est contradictoire.
Je pense aussi à un ami très cher. Impossible d’aller le faire aller travailler sur lui (oui je sais, ce n’est pas mon rôle). J’avais déjà, nous avions déjà capté qu’il y avait un effet bouderie en lui. J’emmerde le monde et il est hors de question que je fasse quoique ce soit pour sortir de cette situation (hyper galère à tout point de vue) car c’est la faute des autres. Et surtout de la société. Donc oui, je veux travailler sur moi et être heureux… mais heu non, quand c’est le moment de m’abandonner à ce travail (qui ne demande aucun effort en vrai), une part en moi n’est grave plus d’accord. Grrrr.
Les manifestations dans la « consommation thérapeutique »
Ces symptômes de la résistance au travail intérieur, de « ça m’est dû là maintenant », je les ai connus. Ca donne que soit on ne fait rien, et on se plaint de notre malheur, soit on fait mais on effleure, on se disperse. Et on râle que rien ne fonctionne.
- Je veux une solution magique, immédiate, pour le problème précis qui me préoccupe
- Je tente pleins de trucs et j’arrête très vite, en me plaignant que ça ne marche pas
- Pour toute personne que j’actionne, je vais l’évaluer très vite. La moindre faiblesse (pour moi) sera le signe de son incapacité à me sauver.
- Je vais actionner des personnes qui ont l’air très sûres d’elle, car leur confiance en elle, leurs certitudes me font croire au résultat immédiat. C’est généralement là où le travail sera superficiel, car ceux-là ne le font pas pleinement pour eux (sinon ils apparaitraient tels qu’ils sont et non dans cette confiance en soi factice).
Il n’y a pas de mal à ces symptômes. Je les ai vécus moi-même. On peut juste mettre de la lumière sur ce qui résiste vraiment à l’intérieur. Dès que la conscience se pose sur la résistance, elle commence à se dissoudre (c’est bien foutu la vie…). Et cette résistance se résume ainsi :
- Ce n’est pas à moi de faire le travail car ce n’est pas juste,
- J’ai le droit d’avoir ce qui m’est dû (le sommeil; la reconnaissance, l’attention, par la vie, les autres, la société).
- Je veux un résultat tout de suite.
Alors, que faire ?
Le renoncement
Renoncer à obtenir gain de cause
Renoncer à ce que justice soit faite
Renoncer à ce que les autres payent
Renoncer à ce que ce minimum si évident dont tous les autres humains semblent profiter aussi, me soit donné à moi.
Car il y a une raison à tout cela.
Or s’il y a une raison à tout cela, c’est que j’ai raté une étape. Quelque chose de l’expérience de la vie m’échappe…
Et si ce n’était pas dû…
Accepter l’idée que l’invitation de la vie n’est pas celle là. Que le fonctionnement que l’on projette : justice, équilibre, amour, tout ça n’est pas un dû.
Mais alors, si ce n’est pas un dû, quel est le but ?
C’est une question de fond qui revient dans mes accompagnements. Car à un moment de la discussion, la question finit toujours par devenir clé : mais pourquoi es-tu sur terre selon toi ? Si la réponse n’est pas claire, on ne saura pas quelle posture adopter quand la vie nous challengera, et ça va être dur, très dur… Le sentiment d’injustice refera son tour de piste. Et nous empêchera de plonger.
Bref. Si la vie ne nous doit pas le bonheur minimum, quelle est donc l’invitation ? L’invitation est là : faire l’expérience de soi et prendre conscience de soi, de ses limites, de ses besoins, de ses envies, de tout ce qui nous porte énergétiquement et nous « déporte »… Aller dans la lumière ou en sortir, si on prend les choses de façon un peu plus spirituelle (on est pas obligé, on s’en fout…). Et nous avons le choix. Essentiellement de dire non, d’abord. C’est terrible. Mais c’est ainsi.
Bouger ou pas bouger
Dans cette acceptation que la vie n’est pas ça, on comprend alors que notre situation est notre création. Nous ne l’avons pas créée… mais nous attendons qu’elle bouge toute seule. Et clairement, ça ne bouge pas.
- S. continue à se sacrifier pour sa famille sans reconnaissance ou attention.
- Je continue à mal dormir et ça va de mal en pis (je vous rassure, je dors maintenant, c’est bizarre d’ailleurs à ce point)
- M. continue à galérer (mais ceci dit, il ne s’en plaint pas, c’est sa grande force).
- L. continue à draguer sans vivre la relation apaisée
- K. continue sans doute à flipper qu’elle ne s’en sortira jamais.
Nous seuls pouvons bouger. La seule façon de bouger la situation à l’extérieur est de nous bouger à l’intérieur. Et nous-seuls avons ce pouvoir d’intervenir. La question est : va t-on faire le taf… ou non ?
Et avant de faire le taf, si ça résiste, la première question à se poser, c’est celle-là : en quoi faire le taf, mettre temps et énergie sur soi, est put*** d’injuste ?
Car si on ne met pas de conscience sur cette résistance, elle restera en arrière-plan.
S’abandonner…
Et s’abandonner. S’abandonner à soi-même. S’abandonner à l’autre, qu’on actionne, sans savoir si ça va marcher. Juste en étant guidé par un espoir. Mais aussi une humilité que ça ne sera pas immédiat, que l’autre n’a pas LA baguette magique, ça ne peut que prendre, évidemment, un peu de temps, et que c’est ok. Pourquoi ça ne prendrait pas un peu de temps, quand on a résisté pratiquement toute notre vie ? Est-ce que ce n’est pas le minimum que l’on doit à notre intérieur, être patient ?
S’abandonner à l’idée aussi que ce sur quoi nous voulons travailler (ma procrastination, mes insomnies, ma colère, ma création d’entreprise) n’est pas de notre contrôle. Quand on commence à aller regarder à l’intérieur, on ne sait pas ce qui va surgir et débloquer. Ça débloquera. Mais on ne sait pas sur quoi en premier… Et alors ? Pouvons-nous nous abandonner au processus sans chercher à le contrôler, à avoir le résultat là, pile poile, que l’on a décidé, tout de suite ? En vérité, c’est ainsi.
Petite conclusion sur notre lit de mort
La conclusion est la suivante. Quand nous serons sur notre lit de mort, quand ce sera le moment de regarder derrière nous, ça nous fera une belle jambe de voir que l’on s’est arbouté et qu’on n’a pas lâché. Vous savez pourquoi ?
Parce que tout le monde s’en fout.
Il n’y a que nous… et nous.