J’ai tenté d’accompagner un homme, il y a quelques temps, en grande difficulté physique et psychologique. Il ne dormait plus depuis 9 mois, il était sous antidépresseurs et benzodiazépines, et malgré les médicaments, malgré les somnifères, ses nuits se réduisaient à rien. Il était épuisé. Il avait peur de mourir. Il avait peur des dégâts sur son corps, ce qui peut se comprendre parce qu’ils sont vrais. Il était désespéré, et je pense qu’il l’est encore car l’expérience est récente.
C’est une expérience par laquelle je suis passée (et que j’ai déjà beaucoup racontée sur ce blog). Sauf qu’il ne pas pas fallu 9 mois pour arriver à cet état, il m’a fallu 16 ans.
C’est ce qui nous a mis en contact David et moi, un article que j’avais écrit sur mon sevrage.
Oui, mais… le tunnel de l’immédiateté
Le problème, c’est que après avoir discuté un peu, moi déjà enthousiaste à l’idée de l’aider à se sevrer, avec les 10 000 astuces que j’avais emmagasinées dans ma propre expérience, et ma conviction de fond en porte-flambeau, j’ai réalisé que David disait oui, mais que son esprit était ailleurs. Il était « au bout de sa vie », mais il n’était pas prêt à lâcher la voie qu’il avait empruntée depuis 9 mois, la médicamentation à outrance, malgré son échec. Il ne pouvait pas renoncer à l’espoir que les médicaments puissent régler son problème. Dormir est si simple, la médecine guérit de si terribles maladies, comment serait-ce possible qu’elle ne trouve pas d’issue à mon problème ?
Quand nous discutons, je lui parle de ma voie, celle en tout cas que j’ai expérimentée (énergétique, mantra, diète, émotions). Il la comprend, il la veut, et en même temps, il n’arrive pas à entendre ce que je lui dis. Je sens son mental obnubilé par la nécessité de dormir immédiatement, à tout prix. Il veut la démarche, mais il veut éradiquer le symptôme maintenant. Immédiatement. Qui d’autres que la médecine allopathique peut répondre à son exigence si pressante ? Elle est sa solution. Et puis la médecine, c’est notre société, notre civilisation. Nous avons été biberonnés depuis le plus jeune âge à ses promesses, à son fonctionnement, à son assurance crâne. Comment imaginer qu’elle ne puisse nous sauver au moment où on en a le plus besoin ? N’est-elle pas censée assurer à mort ?
L’impuissance ou l’abandon de la reliance
Il y a quelque chose de profondément existentiel à cet endroit. Quand nous arrivons au moment de notre crise, burn-out, mal-être, dépression, maladie chronique, nous sommes comme des bébés abandonnés dans une pièce vide. Le vide se créé partout autour de nous. Nous déconstruisons la matrice, mais nous sentons si peu, si difficilement l’autre voie. Nous avons été biberonnés par la rationalité, par le dogme de l’action, l’ignorance de la vibration, le déni du ressenti, le rejet du sens et du divin en nous et autour de nous. Comment renoncer à tous ces dogmes, souvent inconscients, qui nous structurent depuis si longtemps ?
Enfant, nous avons lâché notre transcendance, notre reliance, notre puissance, pour nous mettre entre les mains d’un système qui nous a promis monts et merveilles. Fais ce que je te dis, adapte-toi, fais des efforts, fais des études, contrains-toi, ne te laisse pas aller, sois fort, trouve un travail, tu verras que tu obtiendras tout ce que tu veux. Regarde les films, regarde les gens qui réussissent, tu veux être pareil ? Alors fais ce que je te dis.
Quand la crise arrive, nous arrivons dans un sentiment de telle impuissance, nous sommes tellement démunis (alors que nous avons scrupuleusement suivi les consignes, quelle injustice !), que l’on pourrait penser que la voie alternative, divergente sera actionnée par instinct de survie, à défaut d’autre solution.
Mais c’est plus compliqué que ça. Nous pouvons vraiment mourir avant de renoncer pleinement à notre « maman matricielle » et surtout, avant d’aller explorer ailleurs. David, ou plutôt le mental de David, espère encore que sa maman matricielle va revenir. Qu’elle va tenir ses promesses qu’elle ne va pas l’abandonner. Il ne peut pas renoncer. Notre mental est comme relié à la matrice. Il en est une émanation. Sans la matrice, il n’existe plus. Il se retrouve sans fondements, sans protection, sans guide. Le mental ne peut pas faire dissidence. Il a besoin de croire qu’il va être sauvé. Que maman, là aussi, pourvoira. Puisqu’il a fait tout bien. Puisqu’il a remis son pouvoir entre ses mains.
Hélas, trois fois hélas…
Quand mère matricielle n’est plus là
Evidemment, il y a une arnaque dans l’air, et c’est quand nous sommes dans la plus grande souffrance, la plus grande impuissance, que nous sommes obligés de regarder la vérité en face : nous sommes seuls.
En vérité, nous ne sommes pas seuls. Mais la seule chose qui nous apparaît soudain, c’est ce sentiment d’être entouré de vide, et perdu. Si je ne peux plus m’appuyer sur ça, sur quoi vais-je m’appuyer ?
On ignore tout de l’autre maman. Enfin, on l’a oubliée. Plus profonde, plus entourante, toute amour, toute vibrante, et surtout guérissante. Elle existe. Mais elle est nettement plus subtile. Et inaccessible pour le mental. Nous ne pouvons la ressentir qu’à l’intérieur de nous. C’est compliqué quand il nous a été demandé toute notre vie de regarder à l’extérieur et ne pas être trop complaisant avec notre intérieur. Nous avons oublié, cette sensibilité à l’intérieur, cette reliance. Donc quand la matrice nous lâche, on ne saute pas au plafond pour dire : Youpi, je vais aller explorer une autre voie ! Si on va bien, peut être oui. Mais quand on souffre, c’est l’apocalypse.
Cette autre possibilité, cette autre voie, c’est de revenir à là d’où on vient et dont nous sommes une parcelle. Reconnaître que nous sommes une parcelle de conscience. Que tout fonctionne par vibration, par l’énergie, et que tout peut guérir, dans les corps comme dans les âmes. Alors, c’est facile d’y croire quand tout va bien. Mais quand on est au bord de la mort, que la matrice ne semble plus fonctionner, comment changer son fusil d’épaule ?
Donc oui, probablement, y a t-il quelque chose sur quoi David pourrait s’appuyer pour lâcher l’obsession des médocs, mais, il en est coupé. Il ne la sent pas au fond de ses entrailles. En tout cas, pas là, pas dans cette situation de panique, d’impuissance. Moi non plus d’ailleurs. Je ne la ressens que par à coups. Cette conscience, ce divin, auquel pourtant je peux m’abandonner et qui fait tout pour moi. Je le vois bien. Mais je l’oublie. Je m’en désunifie régulièrement, et c’est pourquoi d’ailleurs je dois, et je veux, pratiquer. Pour renouer. Pour la sentir.
Bref.
Un éclair de lucidité pour accéder à une autre force
Cet autre sens est là, tapis profondément à l’intérieur de nous. Il nous guide, il nous protège et il nous aime. Si on le suit, il est probable que nos problèmes vont disparaître. Mais, nous avons été obligés de faire allégeance ailleurs.
Quand il est l’heure de reconnaître que cette allégeance ne porte pas ses fruits, que nous sommes bel et bien abandonnés dans notre « merde », et qu’elle ne pourra nous sauver, il nous est extrêmement difficile de renoncer.
Je ne parle pas d’un renoncement raisonné, mental, par la réflexion. Je parle de l’état de désespoir dans lequel on peut être, et de notre incapacité à se résoudre à l’idée que nous sommes seuls, en tout cas que tout ce sur quoi on s’est appuyé ne vaut rien dans notre situation et ne nous apportera aucun salut.
Cette prise de conscience, cette terrible lucidité qui nous vient soudain, ce renoncement donc, qui passe probablement à peine par la tête et énormément par le cœur, prends son temps. Il prend d’abord racine dans notre impuissance, notre souffrance, mais en même temps, il s’appuie aussi sur une étincelle. Une étincelle qui nous fait sentir un jour, confusément, par une présence, par une expérience, par une pratique, qu’il y a peut-être autre chose. Un autre concept. Une autre vérité. Une autre voie.
Un quelque chose que nous avons ignoré, que nous n’avons plus voulu voir, souvent de peur que ça n’existe pas, ce serait trop beau, et ce serait trop douloureux si ce n’était pas réel (c’est comme craindre de retomber amoureux pour se briser à nouveau). Puisque la société s’est tellement évertuée à nous dire qu’il n’y avait rien, pas de magie, pas de vibration, pas de lois cosmiques, pas d’âme, juste un monde mécanique, rationnel, et des symptômes à éradiquer. Un monde assez triste…
L’autre problème, c’est que cette autre voie, si tant est qu’on la voit, elle prend son temps pour nous aider. Forcément, puisqu’elle nous invite à régler le pourquoi des symptômes, et non à éradiquer les symptômes. Or dans notre matrice où tout se résout instantanément, il est très difficile de renoncer à résoudre un symptôme. Ca fait peur. En tout cas, pour David, cette perspective de travailler plus en profondeur le met en panique. Parce qu’il souffre. Parce qu’il faut résoudre le problème immédiatement.
Quand nous sommes dans cette quête de baguette magique immédiate, nous perdons un temps fou. Car nous ne commençons jamais le vrai processus. Celui qui va aller guérir ce qui produit les symptômes. Alors à force de vouloir l’immédiateté, on éternise le problème. Et deux ans après, ou 18 ans après, on y est encore…
J’ai été dans la même situation que David. Obsédée par l’immédiateté, exigeant de dormir, car j’y avais droit, un sacro-saint droit que ma société devait me garantir.
En fait, on s’en doute, elle ne garantit rien du tout. Elle nous met juste au placard quand nous ne confirmons plus sa perfection : covid long, personnes âgées, handicapées, trop grosses, trop pauvres, gamins trop sensibles, etc. Tout ce qui est défaillant et pourrait faire douter de l’efficacité de la machine est écarté. Prenez un doliprane ou un antidépresseur, c’est dans votre tête, ou allez-vous enfermer là, histoire qu’on vous voit plus. J’ai dû donc arriver à un extraordinaire sentiment d’impuissance pour ouvrir les yeux : en fait, je suis seule.
J’aurais pu me tuer pour en finir. Je n’avais pas vraiment d’autres issues, en tout cas je n’en voyais pas d’autres. Mais j’ai eu une étincelle. Une étincelle qui m’a fait trouver le force d’explorer autre chose, sans exigence d’immédiateté, avec humilité, sans exiger l’instantané, malgré mon désespoir. Elle m’est venue par la pratique d’un mantra. Bêtement. J’en ai déjà beaucoup parlé ici.
Alors oui, c’est bête, un mantra, c’est trop simple, mais derrière le mantra, il y a quoi ?
Une connexion au divin, aux lois cosmiques, au grand tout. A une force extérieure. A la vérité de la vie. A la compréhension que le monde ne marche pas de façon mécanique. Et qu’il y a donc une autre voie que j’ai ignoré jusque là. Et surtout, une autre force qui dispense mon mental de diriger. Qui lui permet de lâcher, de s’abandonner.
Quand je réalise mon libre-arbitre, donc ma responsabilité (sans aucune culpabilité) dans ce que je vis, et en même temps que ce libre arbitre, ma puissance à pouvoir changer les choses, non pas de façon mécanique mais en prenant soin de mon corps et de mon âme sur un plan vibratoire, alors l’espoir et la détermination, bref l’énergie, montent en moi.
Cette toute petite étincelle, cette toute petite sensation dans le corps et dans le cœur, nous en avons besoin.
Pour l’insomnie comme pour tout ce qui nous bouffe. Pour lâcher l’action mécanique et allopathique. Pour aller découvrir la source de notre mal. Et la source, c’est ce que nous faisons à notre corps, et à notre âme depuis bien longtemps. A l’échelle de notre civilisation, sans doute depuis plusieurs millénaires. Avec un crescendo depuis quelques dizaines d’années, qui nous confronte, mais qui nous fait du bien aussi car il nous ouvre les yeux sur la folie ici.
David a décidé de reprendre un antidépresseur plus fort. Question sommeil, c’est surtout les benzodiazépines qui me paraissent dangereux. Faciles dans l’immédiat, ils deviennent cauchemardesques ensuite. Alors pourquoi pas ? Il n’a pas pu cette fois se déposer. S’abandonner. Expérimenter une autre voie, douce et toute yin, mais lente, c’est vrai. Et c’est ok. J’espère qu’il retrouvera le sommeil.
9 mois, c’est court pour renoncer…