Dans ce texte, je partage une peur qui me traverse parfois au détour de mes moments collectifs, en particulier quand ils sont faits avec des personnes que je connais.
Cette peur est fugace, étrange, et elle est restée longtemps diffuse avant que je la vois clairement, quoique hyper contractante quand elle passait.
Elle est surprenante et semble pourtant bien faire partie de ma structure de souffrance, même si j’ai du mal à la relier à mon vécu personnel.
Cette peur, c’est la peur d’être encensée, valorisée, par un groupe, pour être ensuite décrédibilisée, disqualifiée. Bref, bashée (du mot anglais bashing=dénigrement).
L’encensement, le bashing
C’est une peur qui m’évoque ce que l’on voit parfois dans les médias, l’encensement et l’admiration d’une personnalité publique pendant quelques années puis une décrédibilisation soudaine ensuite, le bashing. Ce qui me glace plus précisément, c’est l’apparente jouissance des bashers, associée à leur bonne conscience. J’y vois une manifestation du mental humain dans ses pires extrémités. Et c’est moche.
Cette peur ne fait pas écho avec mes expériences de vie. Je n’ai pas eu l’honneur de profiter d’un moment d’encensement collectif… pas plus que du bashing derrière. Ou alors de façon vague et à très petit niveau. Et pourtant, la vision est précise, et l’émotion aussi. C’est un mystère…
Cette peur est en tout cas tenace. À chaque fois qu’elle me traverse, c’est comme si je risquais à tout moment un retournement de situation. J’ai une contraction, une angoisse, une terreur même à appréhender la satisfaction dans les yeux des « basheurs » quand ils sont à l’œuvre de décrédibilisation de ce qui a été encensé avant. Dans un livre lu récemment, Le 4ème mur, le héros parle des massacres successifs vécus par le Liban, avec une femme et d’un enfant de sa famille décédé à cette occasion. Il compatit pour l’enfant décédé. La femme lui répond : l’horreur n’est pas dans l’enfant mort, mais dans le rire des massacreurs.
C’est un exemple extrême, mais qui correspond à la sensation intérieure que j’ai quand je pense aux basheurs. L’horreur est dans la jouissance et la complaisance avec soi-même.
C’est une vision étrange qui me vient quand je cherche en images la version la plus terrorisante. Je suis alors dans un grand état d’ouverture, avec une lumière autour de moi, un peu comme un enfant, dans une forme d’innocence. La lumière va vers le groupe, et elle est salie, moquée par les gens. Je suis exsangue et désespérée.
Au moment où je l’écris, j’en ressens la précision et l’évidence, l’émotion également. Mais décidément, rien ne la relie à ce que j’ai vécu. Est-ce mon l’imagination seulement ? Est-ce une vie antérieure ? Mystère.
Cette vision me renvoie à des personnalités dont l’exécution publique m’a horrifiée, surtout quand j’étais plus jeune : Vanessa Paradis et Mickael Jackson quand j’étais adolescente en particulier, Didier Raoult et Pierre Palmade plus récemment, ou Irène Grosjean et Thierry Casanosvas dans le domaine du bien-être.
Quand j’avais 13 / 14 ans, le bashing dont a été victime Michael Jackson après avoir été autant encensé a été un vrai traumatisme pour moi. Tout ce qu’il faisait était appelé, après avoir été tant admiré, à être moqué et disqualifié, par les médias, mais aussi par mes camarades de classes. Il était de bon ton de la railler, et le défendre me faisait rentrer dans la case des idiotes. J’y étais rentrer allègrement, j’étais même devenue un peu une star en ce domaine, Gwenn qui aime Mickael Jackson (c’était en 1986, ça craignait vraiment à l’époque).
Ce qui me surprenait, c’était l’injustice des critiques, et surtout la condescendance satisfaite de ceux qui n’avaient pas 1% du talent déployé. Je ne comprenais pas cet acharnement, et ce consensus collectif. J’en souffrais beaucoup… D’autant que je le kiffais (Mickael Jackson).
Ce n’est pas tant les cibles qui me bouleversent je crois mais la médiocrité du mental collectif confis dans sa bonne conscience qui m’horrifient. Un peu comme la dame du Liban, ce n’est pas la souffrance de la victime mais la jouissance satisfaite qui me fait horreur. Le mental déchaîné qui, plutôt que rechercher sa propre lumière à travers sa propre obscurité, va aller chercher plus simplement à écraser ce qui rayonne pour se sentir un peu moins nul, un peu plus conforté, sans doute soulagé.
Il y a comme une proportionnalité à la durée ou à l’intensité de l’hallali. Plus il y a de puissance (par exemple une conviction et une détermination à contre-courant) ou d’innocence (cette grâce qu’ont Vanessa Paradis et Mickael Jackson, quoiqu’on en dise), plus l’hallali s’éternisera. Elle a duré peu avec Pierre Palmade (le rayonnement était faible sans doute), plus avec Didier Raoult, longtemps avec Vanessa Paradis et Mickael Jackson. La grâce et l’innocence est ce qui rend le mental le plus fou. La puissance intérieure donne envie de taper dessus, décrédibiliser et humilier. Mais l’innocence, elle, peut mener à une envie de destruction. Physique.
L’envie de destruction est à la hauteur de la perte. La perte irrémédiable de notre innocence, de notre grâce. La fermeture de notre coeur, de notre ouverture au monde. La défiance envers l’autre qui s’installe à la place de la confiance. Combien cela est douloureux… Et combien l’amertume de cette perte peut nous rendre destructeurs avec ceux qui en ont gardé trace.
La jouissance du bashing
Oui, cette satisfaction dans les yeux du mental qui a besoin de décrédibiliser ce qu’il a valorisé avant pour se donner un baume de compensation, me fait, pour l’instant, assez horreur. Pour l’instant, parce que je sens qu’un jour, proche ou pas, je pourrai le contempler avec compassion. Quand je n’aurais plus jamais un bout de mon orteil engagé dans le système. Quand je ne serai plus dupe (le suis-je encore ?) des encensements, imbibations par la présence, flagorneries, et autres manifestations d’admiration qui ne sont que le signe précurseur de la satisfaction qu’il y aura ensuite à dévaluer. Quand je pourrai à la place regarder la puissance que l’autre ne voit pas en lui, et comment, face à sa faiblesse supposée, il se pare d’une carapace cool et détendue de celui qui va plutôt pas mal, alors que l’intérieur est détruit par le doute, en mode survie.
En cela, bizarrement, me revient l’image d’un ex petit ami. Amoureux transi, beaucoup trop transi pour être honnête, il est passé de la case J’admire à outrance à la case pourfendeur jouisseur et satisfait en quelques semaines. Il n’était pas dans la souffrance (c’est lui qui avait arrêté la relation). Il était dans une forme de détermination jouisseuse, probablement proportionnelle à la dévaluation qu’il s’infligeait depuis longtemps envers lui-même. Le système a fonctionné particulièrement quand je me suis retrouvée en dépendance, pendant quelques mois en post-relation. Après la dépendance, quand le lien fut rompu sans plus d’attentes de mon côté, un sentiment de dégoût s’est installé en moi. Il perdure encore après 2 ans… mélangé à une vague sensation de compassion. Mais très vague…
Me revient également l’image de cette amie, un peu flagorneuse (les flagorneurs sont les plus grands basheurs, c’est bien connu !), et dont j’ai déjà parlée, qui après des années d’amitié, me décrédibilisa discrètement auprès de mes clients et collègues après son recrutement, jusqu’à la complète destruction de ce que j’avais créé (enfin j’ai pris la fuite avant, je n’ai pas vu grand chose). Là aussi, quand j’ai compris ce qui s’était joué, m’est venu (et je l’ai encore…) un sentiment de dégoût. Et ce dégoût n’est pas pour la personne à proprement dit, mais pour cette part en elle, son égo, son envie de destruction bien sûr mais surtout, son sourire satisfait, fort du soutien collectif, et au fond, si médiocre. Si médiocre.
Je repense ainsi à une interview du fameux Didier Raoult par un journaliste qui tentait de le déstabiliser à peu de frais. Le médecin tentait de répondre à des questions assez stupides et parti-pris, et le sourire du journaliste, quand il essayait de faire le cador, reflétait exactement cette étrange et un peu dégoûtante combinaison : un sourire jouisseur, auto-satisfait, et la médiocrité qui se dégageait de lui en même temps. Là aussi, ce souvenir me dégoute un peu…
J’ai un ressenti assez similaire avec le clan gaucho-indigné de mon bled. Une sorte de dégoût diffus qui m’empêche de m’en approcher collectivement. Alors qu’individuellement, les choses se font avec plaisir, toute proportion gardée, je sens cette facilité avec laquelle le collectif « mental » pourrait rapidement basculer dans l’hallali sans plus de questions.
Tout cela fait écho à cette sensation dont j’ai parlée lors d’une cérémonie chamanique il n’y a pas très longtemps. Les psychédéliques tentent d’ouvrir le cœur, ils rencontrent le mental de certains et les chamans ne cadrent pas le mental. Trop bisounours sans doute. Le mental sent l’espace possible. Il se déploie. Il devient bavard, il juge, il se gausse, il veut prendre l’espace, se faire mousser, exister. Alors il envahit les autres. Rien de bien méchant, mais son énergie grisée et morne, en envahissant l’espace, coupe les couleurs de mes visions. Celles-ci deviennent grises également, et une sensation d’angoisse irrésistible monte en moi. Ceux qui restaient discrets, connectés à leur cœur et dans leurs visions, commencent à se sentir mal, mais sans savoir pourquoi. La pièce devient oppressante. Les mentals se répondent les uns aux autres, se confortent, les autres subissent. Je me casse, personnellement.
La coupure avec le divin nous coûte cher… nous avons un monstre incontrôlable en nous et il nous bouffe.
La flemme du mental et l’espoir du ruissellement
Je n’ai pas l’expérience du collectif flagorneur et admiratif. J’ai l’expérience de l’individu.
Ce sont toujours des personnes faibles. En tout cas affaiblies intérieurement. Elles n’arrivent pas à contacter la part d’innocence en elles, ni la part puissante. Elles restent stoïques. Elles semblent aller bien. Malgré les galères de leur vie. Mais donnez leur l’occasion de taper sur ce qu’elles ont admiré, avec la bonne conscience du collectif, elle saisiront le sabre. C’est ainsi.
Qu’en dire ?
Le mental est une protection pour survivre. Pour beaucoup d’entre nous, il nous met en pilotage automatique pour ne pas nous confronter au vide intérieur. Son arme de choix : réduire tant qu’il peut la voilure des autres, à défaut de contacter la sienne.
Nous sommes tellement privés de cette puissance et de ce rayonnement de l’enfance, de cette grâce de l’innocence, que la moindre lumière émise ailleurs, soit nous attire, mais nous renvoie aussi à l’impossibilité à rayonner la nôtre par le simple effet de ruissellement. Parfois, nous en prenons acte, et nous passons notre chemin. Mais parfois, après avoir espérer le ruissellement, il peut être difficile de se priver du plaisir de dégrader ce que nous avons tant valorisé, sans succès sur notre vide intérieur.
Notre société est construite sur le mental. Tout est calé sur le cerveau gauche devenu roi.
“Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don. Einstein.
L’intuition, la sensibilité, l’amour, la douceur, l’énergie, l’innocence, l’abandon ne sont pas des grâces collectives. Elles existent par les individus, mais elles n’existent presque plus sur le plan collectif. Elles sont affaiblies, souvent regardées avec condescendance, amusement, commisération, pitié au mieux, ou avec une envie de destruction, de décrédibilisation. Elles devraient être reines et le mental à leur service. Mais c’est à lui qu’on a donné les rênes. Depuis longtemps, probablement.
Lui donner pouvoir est folie. C’est ce que notre civilisation a pourtant fait. Et il est devenu fou, ce mental, embourbé dans une boucle infernale avec un pouvoir qu’il n’est pas capable de gérer, il n’est pas fait pour ça. Il est fait pour obéir, exécuter, au service de sa reine. Et le pire du pire, c’est que au fond, il sait qu’il n’est pas légitime… C’est ce qui le rend si kakou.
Le risque de l’imbibation
L’imbibation est une illusion. La grâce de l’autre nous baigne, nous fait du bien, mais elle ne comble pas notre vide intérieur. Notre grâce est toujours au même endroit. Sous le vide. Sous l’obscurité. Sous le mental. Elle n’est jamais partie.
L’imbibation a ses limites. Après en avoir bien profitée, vient en nous une envie de la détruire, l’envie de niveler par le bas.
J’ai depuis quelques temps une obsession de l’imbibation. Dès que j’en sens l’énergie en arrière plan, une envie de fuir me prend, avec je l’avoue, une certaine forme de colère. Sans doute en correspondance avec cette peur floue qui commence à s’éclaircir et à se dissoudre en même temps. C’est un système.
Des personnes parfois (souvent des hommes) viennent à moi. Ils ne souhaitent pas travailler sur eux mais ils aimeraient s’exposer à ma présence. Ils me le disent en toute bonne foi. Elle leur paraît exacte et spontanée. Inspirante. Ok, alors pourquoi pas. Mais, à chaque fois, j’ai eu la sensation vague d’avoir été consommée. C’était flou, mais très désagréable. Avant, je me sentais mal. Puis je me suis sentie en colère, sans savoir pourquoi. Puis maintenant, je suis encore dans la colère, mais préventivement (les pauvres…). J’attends avec impatience mon moment de compassion !
Le ruissellement ne fonctionne pas. Celui qui cherche le ruissellement tout en essayant d’échapper à sa propre obscurité, c’est le mental. Il veut le beurre et l’argent du beurre. Le ruissellement sans se mouiller. C’est ok. Mais ça ne marche pas. C’est un puits sans fond car en étant le demandeur, le mental ne peut qu’apporter son énergie à lui. Elle est grisée et non vibratoire. Elle n’est reliée à rien. Donner au mental, c’est comme jeter une pierre dans un puits. Ca fait floc. L’échange sera stérile pour l’autre, et désagréable pour moi
La recherche de l’imbibation nous empêche d’aller chercher notre propre lumière. Elle nous donne l’illusion que nous pourrions obtenir le résultat sans nous exposer à notre propre obscurité. Elle dure le temps pour les paillettes de faire leur oeuvre. Jamais très longtemps. L’imbibation finit souvent de la même façon, l’imbibé (raté) retourne sa veste puisqu’il n’a pas avancé d’un poil (malgré les espoirs et l’illusion au début) Et quand il réalise que le ruissellement ne fonctionne pas, il se dit : « ben en fait, c’est que le ruissellement est pas suffisant, c’est nul en fait ». Ben non, c’est pas nul, c’est toi qu’est nul. Tu regardes la lumière de l’autre en espérant que ça rebondisse. Eclaire toi toi même, t’as la même à la maison.
Alors, pourquoi on accepte l’imbibation ?
Car dans l’autre sens, accepter l’imbibation, c’est accepter le bashing futur. Non dit bien sûr, mais qui se sentira. Et ce n’est pas agréable.
Accepter l’imbibation, c’est aussi laisser l’autre dans son illusion. C’est facile et rémunérateur. On peut y croire. Mais c’est stérile.
Accepter l’imbibation, c’est peut être aussi croire que notre rayonnement peut libérer l’autre. Il y a sans doute une forme d’égo à cet endroit, de bonne guerre car après tout, pourquoi pas ? Et puis oui, notre rayonnement peut rencontrer le rayonnement de l’autre, et une libération opèrera pour les deux. Mais rayonner sur le mental de l’autre… C’est comme pisser dans un violon.
Je pense aux coachs, thérapeutes et éveillés spirituels qui font profiter une large foule de leurs enseignements, découvertes et pensées. J’en fait d’ailleurs peut être partie. Il y a là un effet de ruissellement. Il rapporte de l’argent, peut être. Mais fonctionne t-il vraiment, passé les premiers émerveillements ?
La lumière est en chacun de nous, et l’obscurité est la seule voie pour aller la trouver.
Bon j’exagère. Les enseignements passent aussi par le cœur, et l’énergie agit. Mais elle ne nous dispense pas d’aller voir notre obscurité. Et en cela, seuls certains en ont la force. Parfois la vie nous y aide, en détruisant notre force mentale, notre résistance. La maladie, la crise, la dépression sont alors un cadeau. Ils nous rendent humbles.
Alors, pour un temps, enfin, il n’y a plus de pilote dans l’avion. La reine revient au commande… pour un temps seulement. Et une vie ne suffit pas.