Se dissocier de la matrice
Notre société nous apporte des bienfaits matériels concrets (assistance sociale, enseignement gratuit, revenu minimum, couverture sociale) mais l’essentiel lui échappe. La présence, la bienveillance, l’accueil, l’amour, le sens sont apportés non par un système étatique mais par une philosophie communautaire structurée que nous retrouvons chez les peuples premiers (voir le livre Sagesses d’ailleurs pour vivre aujourd’hui qui est un grand choc pour notre égo occidental…). Que reste t-il de cette philosophie communautaire dans nos sociétés ? De la responsabilité collective quand un individu faillit ? De l’accueil des émotions de l’enfant quand il en a besoin ? Du besoin d’interactions intenses et bienveillantes de l’adolescent ? Du besoin humain d’être touché ? De pouvoir s’adresser à l’autre dans sa spontanéité sans craindre d’être jugé ? De pouvoir ressentir amour ou désir sans que ce soit un problème, sale, ou malvenu ?
Si la communauté est défaillante dans cet apport, ou si plutôt notre inconscient collectif nous a laissé entendre que l’Etat prenait en charge ce qui nous étaient nécessaire, cela signifie que nous avons abandonné notre pouvoir à l’extérieur. Notre philosophie communautaire a été abandonnée progressivement depuis ces milliers d’années, et nous essayons désespérément de nous adapter à ce qui nous est proposé par l’Etat.
L’hypersensibilité est un besoin existentiel humain qui n’est pas entendu à l’échelle personnelle, et qui, à l’échelle sociétale, est vécu comme une fragilité, une insuffisance, une inadaptation.
Pourtant, ce besoin est légitime, humain, et spécifique à chacun. Ce que Chogyam Trungpa, qui a amené le bouddhisme en occident, appelle la perfection originelle (ou bonté fondamentale)..
Notre société est obsédée par la faute, la défaillance, et raconte l’histoire d’un humain qui n’a rien à voir avec ce qu’est un vrai humain (nos enfants, petits, en sont encore à l’image).
Notre société est obsédée par des besoins non-essentiels à l’humain (matériel, confort, savoir, statut, image) et ne répond en rien à nos besoins essentiels (simples).
J’exagère ? Hmm. Vu de l’extérieur, beaucoup de nos évidences paraissent complètement ahurissantes.
- Croire que laisser un bébé de 3 mois à un étranger pendant ses 3 premières années tous les jours de la semaine est ok (c’est un congolais qui m’en a fait la remarque un jour, et depuis, quelle évidence…)
- Croire que débarquer un enfant de 3 ans dans une classe avec 25 gamins du même âge et 2 adultes qu’il ne connaît pas est ok.
- Croire que demander à des enfants de rester 8h par jour assis sur une chaise à écouter quelqu’un est ok.
- Croire que parquer des ados stressés, en construction de leur ego, et paniqués par l’idée de ne pas être assez, suffit pour les faire « être ensemble » dans la bienveillance.
- Croire que donner des consignes et un objectif suffit à donner du sens.
- Croire qu’appliquer des techniques thérapeutiques sans amour peut suffire à guérir.
Etc.
Nous sommes déjà parfaits. Nos enfants sont parfaits. Ne pas l’entendre nous plonge dans une fébrilité intérieure et une insécurité extraordinaires.
Accepter la tension intérieure
L’intérêt de la tension intérieure quand elle est là, et c’est le cas des hypersensibles chez lesquels tout affleure, c’est que nous sommes poussés à bouger. La tension intérieure est suffisamment inconfortable pour nous mener à chercher au delà de ce que l’on sait.
En enquêtant sur nous et ce que ça dit à l’intérieur, nous libérons la tension, et nous générons un mouvement. Le mouvement intérieur est une libération d’énergie (émotionnelle, mais pas que) associée à une prise de conscience du soi (et donc de l’extérieur, non comme nous l’imaginons ou le fantasmons, mais comme il est vraiment).
A chaque mouvement, quelque chose se libère en nous définitivement. Le processus fonctionne ainsi par boucle, en spirale (et oui, c’est mon logo !) et il ne s’arrête jamais. Mais il va de plus en plus au centre. Donc ce n’est pas une boucle sans fin. C’est une spirale !
Seul le mouvement intérieur peut produire une transformation extérieure durable (relations, travail, amour, famille). L’action mécanique telle qu’on nous l’a enseignée (objectif, action, stratégie) n’a pas grand pouvoir, ou en tout cas, elle n’a de pouvoir qu’en résultant du mouvement intérieur, non en le remplaçant (Lire Le vide, le mental et la résolution).
Donc accepter la crise comme l’occasion de libérer définitivement quelque chose qui nous oppresse est important pour mener ce processus sans trop souffrir (car la souffrance vient de la résistance).
Se connecter à soi
Pour entendre ce que nous dit notre intérieur, la voie est de se connecter à soi.
Quand on commence à se connecter à soi, une magie opère. Nous laissons de l’espace à ce qui est déjà là à l’intérieur, mais jusque là contrôlé. L’ouverture permet de libérer l’intérieur et de l’apaiser. L’extérieur autour de nous se modifie progressivement. Un peu plus lentement que le mouvement intérieur. Mais c’est de bonne guerre…
Pour cette connexion à soi, pour les cocottes minutes que nous sommes, nous avons besoin, avant de nous asseoir, d’une aide essentielle : la présence. Celle de l’autre.
L’accueil par la présence
La présence, c’est l’accueil, l’attention d’une personne ou de plusieurs, son non-jugement, sa bienveillance, et sa capacité à accueillir les émotions de l’autre. La présence autorise le flux intérieur en nous. Elle offre un « contenant » comme l’explique Habib Sadeghi dans Detox émotionnelle dont nous avons besoin pour « libérer ». C’est ce que nous expérimentons avec un thérapeute, un coach, parfois un ami proche, et c’est ce qui rend les stages collectifs impactants.
En individuel comme en collectif, au delà de l’effet extraordinaire de la présence, il y a aussi l’effet énergétique. Une énergie circule entre les êtres, et une démarche de vérité intérieure, de libération génère une énergie collective en ce sens puissante et guérissante… quand elle est vraie.
Il y a en clair une magie dans la présence qui est bien au delà de ce que nous pouvons comprendre avec notre petit conscient. On ne peut que l’expérimenter et en constater les effets.
La mise en perspective du mental par la présence
Dans notre monde occidental, le pouvoir a été pris par notre ego. Il fait la pluie et le beau temps, dicte ses lois, et nous nous y soumettons. Nous ignorons les lois réelles de la vie, nous vivons dans la peur, nous sommes bourrés de croyances et d’injonctions, sur nous, sur les autres et sur la vie.
Pour sortir de ces boucles parfois infernales qui nous pilotent, sans même que l’on s’en rende compte, puisque nous nous identifions totalement à cette voix intérieure, nous avons besoins de nous en dissocier. De les observer.
Poser un regard objectif et lucide sur notre discours intérieur génère de grandes libérations à chaque fois. La présence peut l’apporter, quand nous la sollicitons pour se confronter à la vérité en soi et pas seulement pour apporter le contenant qui va accueillir notre flux émotionnel. C’est évidemment plus confrontant, puisque notre mental se fait pointer du doigt. Mais c’est aussi terriblement excitant 🙂 Un auteur, un philosophe, un thérapeute, un praticien, un guide, un ami même peuvent nous apporter cette confrontation. La question est : qui choisissons-nous pour faire ce travail ? Cela demande une grande grande confiance en la personne que nous sollicitons.
Pratiquer la présence à soi
Au delà de la présence de l’autre qui est, selon moi, la seule voie possible pour entamer un processus de libération et de guérison, il y a aussi la présence à soi.
Difficile au début (et c’est pour cela qu’on a besoin de l’autre, le thérapeute, les membres du cercle, le coach, le psy), elle s’installe progressivement à mesure que l’on pratique la présence à soi.
Pour générer progressivement la présence à soi, c’est à dire la capacité à accueillir soi-même ses émotions, à observer ses croyances et à comprendre ce qui se joue dans nos expériences, nous avons besoin d’un espace dédié à ça, de pratiques, et de notre corps.
La pratique méditative et énergétique créé cet espace. On n’a pas trouvé mieux depuis 5000 ans. Quelle pratique ? Peu importe : Tantra, méditation, yoga, mantras, sophrologie, danse, diètes chamaniques, etc. Le tout est de trouver celle qui nous convient.
Toutes les pratiques ne sont pas adaptées à tout le monde.
Ainsi, pour les occidentaux, la diète chamanique traditionnelle ne débloquera pas la conscience comme elle le fait pour les amérindiens, à cause de la force de la résistance mentale (Voir La diète chamanique | L’occidental face au gouffre).
De même, pour les occidentaux fébriles essayant de contrôler leur énergie, la méditation ne sera forcément pas d’emblée accessible, il faudra d’abord faire circuler l’énergie (voir l’approche des pratiques de méditation énergétique) pour accéder à un état de vacuité, de disponibilité intérieure.
Il relève de la responsabilité de chacun d’observer si « le taf se fait » dans sa pratique : mouvement intérieur, libération, conscience. Et de prendre acte quand ça ne marche pas, ou quand ça ne suffit pas.
Notre mental nous trompe parfois dans la pratique. Nous voulons l’apaisement, le zen, mais nous le voulons tout de suite et une part de nous refuse de passer par l’obscurité qui voile cet état de paix qui nous est naturel. Alors, nous pratiquons avec des attentes de résultat et en contrôlant. Si pratiquer l’intériorisation ne sert qu’à obtenir une paix mentale, elle ne sera pas durable. Elle n’existera que pendant les temps de pratique. Et encore… Notre vie gardera la couleur souffrante qu’elle a depuis longtemps..
François Breton en parle dans cette vidéo : il n’y a pas d’éveil sans plongée intérieure. Tant que nous la fuyons, espérant trouver le bonheur sans recontacter les zones d’ombres et de souffrances de notre être, la lumière ne pourra définitivement percer en nous (et elle vient du centre de notre corps, pas de l’extérieur). Nous resterons coincés dans une sorte de statu quo mitigé de positif et de simulations… dépendant des pratiques pour acheter des laps de temps de paix intérieure.