J’ai participé il y a quelques temps à une chantier participatif. En fin de matinée, après une discussion avec une personne, j’ai eu une attaque de panique. Une montée d’angoisse qui m’a fait contacter une part de moi que j’avais oubliée, ou plutôt que je subissais tellement quand elle montait, que je ne l’avais jamais observée. Je m’y identifiais totalement.
Cette fois là, je l’ai vue, cette part datant de l’adolescence, et elle m’a bouleversée. Sans doute avais-je voulu l’oublier. Mais elle était bien là, depuis ces temps délicats, larvée en moi, attendant d’être reconnue, acceptée, et probablement surtout, pleurée.
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Cette part là me parle d’un cauchemar. Ce cauchemar date de l’adolescence. Et il parle d’une sorte d’effondrement de mon être qui peut arriver quand je suis en contact (et pas en lien) avec un groupe.
Dans ce cauchemar, je me retrouve soudain prise au piège d’une identité dégradante qui n’est pas moi, mais que les autres me renvoient ou prennent pour vraie. Est-ce vrai, est-ce faux ? Il y a sans doute du vrai originellement, je ne suis pas sûre que ce que je lis dans le regard des autres maintenant que je suis adulte, au moment où je suis enclenchée, soit vraiment une image dégradée de moi. Mais c’est ce que j’y vois, et peu importe à vrai dire, de toute façon cela fait écho à une réalité cauchemardesque qui a eu lieu.
Dans ce « scénario » de l’adolescence, je suis prise au piège d’un contrôle irrésistible qui m’empêche soudain d’être moi, de montrer le vrai, le super moi. Le cool moi. Soudain, c’est une part blessée, souffrante et apeurée qui prend les manettes, et le lien à l’autre devient alors extrêmement douloureux. Je lis distance, gêne, fuite, et une forme de disqualification qui me donne alors un profond sentiment de solitude et surtout, une honte.
Dans cette disqualification, réelle ou supposée, je deviens l’objet à éviter car je suis « contaminante » potentiellement. Tout comme au collège, ma fille me raconte comment elle évite ceux qui ne sont pas assez cools, populaires, sans forcément les juger, je ressens alors soudain que je deviens une menace de ce qu’il faut fuir absolument. Une sorte de faiblesse, de vulnérabilité, qui pourrait contaminer toute personne qui s’approcherait de moi, et prendrait la peine de me parler.
Dans le regard de l’autre alors, je sens comment mon mal être n’est pas une manifestation de mon humanité, mais une manifestation de l’effondrement tant redouter par nous tous, surtout ceux qui essayent d’aller bien, toujours, de faire bonne figure.
Dans cette expérience là, le choc a été assez expéditif, et assez incroyable. Ce fût court, intense, et pour la première fois de ma vie, plein de conscience. Comme si j’avais un observateur en même temps que cette part blessée et paniquée qui affleurait, et qui savait exactement ce qui se passait, pourquoi, et quoi en faire.
L’effondrement et la résistance du faux-self
Cet effondrement disqualifiant, cette faiblesse ouverte quand nous sommes ados, elle nous désintègre. Dans la honte de ce que l’on est. Et l’effondrement est d’autant plus violent que l’on y résiste, à la faiblesse. Qu’on ne veut pas y plonger, s’affaiblir devant les autres. Que l’on veut rester cool et « intégrable ». Qualifié(e). Et on peut toujours courir. Ca n’aura pas lieu, en fait. Mais on n’arrive pas à renoncer.
Dans ce tiraillement entre l’effondrement émotionnel et la résistance de notre égo, qui veut s’accrocher à la possibilité de faire encore bonne figure, nous expérimentons une tension extraordinaire dans notre corps, et dans notre cœur. Un faux self de carton-pâte émerge. Nous tend. Nous rend pour le coup vraiment indigne de ce que nous sommes vraiment, vulnérabilité comprise.
Alors, après avoir eu la possibilité d’être simplement pitoyable (pour les autres), on devient méprisable. Car tout sonne faux en nous. Nous n’arrivons pas à faire autrement. Notre démarche, nos mots, nos intonations, tout est faux. On assiste, impuissant, à un coup double : disqualifié vis à vis de des autres, disqualifié vis à vis de notre âme.
Car si les 1ers craignent la vulnérabilité et la faiblesse, la 2è ne supporte pas le mensonge et le galvaudage. Et notre faux semblant, notre résistance, est une injure à notre être. Elle n’aime pas ça. Et elle nous le fait sentir…
Le problème de la vulnérabilité à l’adolescence
Quand nous sommes adolescents, nous sommes terrorisés par la disqualification. Le rejet. La faiblesse est à proscrire. Il faut avoir l’air cool et sûr de soi. Toute faiblesse peut être utilisée, moquée, abusée. Notre innocence originelle devient donc non un cadeau sacré de l’existence, mais un piège qui nous rend vulnérable à la bêtise ou à la méchanceté de celui qui a (déjà) perdu la sienne. L’innocence devient une naïveté. Une idiotie. Une faiblesse.
Nous essayons alors de lutter contre, de l’enfermer, de ne plus la laisser s’exprimer. Nous ne conscientisons rien bien sûr. Nous ne savons pas ce qui se joue en nous. Mais quelque chose de latent, en arrière plan, nous terrorise. Être faible et qu’on en abuse, qu’on en rit, qu’on soit exclu pour cette faiblesse si gênante.
Notre innocence, c’est notre âme. Cette vulnérabilité, c’est une manifestation de notre humanité. Sur quels fondements sociétaux non-dits sommes-nous arrivés pour que la maltraitance de notre âme devienne une nécessité pour survivre ? Que nous soyons réduits à la fuite, à cette résistance intérieure pour nous enfermer dans un « truc » qui n’est pas nous, dans ce contrôle de notre être qui nous rend factice, étranger à nous-même, en hyper contrôle et terrorisé par le jugement des autres ?
C’est ce que vivent les adolescents chaque jour. Plus ou moins fortement. Plus ou moins consciemment.
Ma fille, plutôt populaire, 12 ans, et les efforts extraordinaires qu’elle fait pour être acceptée, non disqualifiée, intégrée, en montrant une image cool, sûre d’elle, dans les bons codes, les bons réseaux, les bons vêtements, le bon maquillage… Et surtout, en restant dans le bon cercle de personnes « qualifiées ».
Ma fille, 15 ans, au lycée, qui contemple la rigidité de tous avec désespoir et attend de vivre, que la vulnérabilité soit dite, soit assumée, que la conversation devienne enfin VRAIE. Même si en même temps, elle a bien du mal à rentrer elle-même dans cette vulnérabilité qui lui fait si peur, terrorisée qu’elle est par la peur d’être blessée, et surtout envahie. Contrainte.
Alors souvent elle s’ennuie. Tout manque d’intensité. De transparence. De franchise. Tout sent la peur et le contrôle, derrière la cool attitude. C’est morne et triste, finalement. Pas quand on y est. Mais après. Quand elle rentre chez elle. Le goût n’est pas sucré. Il est un peu amer…
L’identité honteuse s’installe
Je reviens sur mon attaque de panique. Elle est arrivée au détour d’une conversation. J’ai parlé de moi à une personne qui n’était peut-être pas bienveillante, ou en tout cas pas réceptive. Je n’ai j’imagine pas entendu les signaux. Je me suis enthousiasmée pour ce qu’elle partageait sans ressentir l’énergie exacte derrière. Sans doute parce que j’étais déjà dans un tunnel, déjà fragilisée par le fait d’être seule au milieu d’un groupe étranger. Fleurtant déjà par ces déclencheurs avec le traumatisme d’adolescence, mais sans le voir de suite, je suis déjà fragilisée, déjà dans une fébrilité non consciente qui me rend plus ou moins aveugle aux signaux énergétiques de l’autres. Surtout les négatifs…
J’ai cherché une connexion d’énergie alors qu’en face, ça ne voulait pas. Ca ne pouvait probablement pas. Et quelque chose de systémique s’est créé à cet endroit. Moi vulnérable, l’autre, condescendant. Moi plongeant, l’autre s’éloignant, mais avec un maintien de la condescendance, comme une forme de « ouf c’est pas moi » qui le met en position supérieure, et qui me fait sentir que je suis en disqualification. Le système créé le tunnel, émotionnellement irrésistible, avec une hyper angoisse, une panique intérieure démesurée qui monte progressivement (et sans aucune mesure avec ce qui se passe vraiment, et c’est parfait).
Après avoir eu cette conversation donc, j’ai commencé à me sentir maladroite. Au début, c’était juste bête. J’ai soudain hésité à savoir où poser mes mains, dans mes poches ou le long de mon corps. Puis j’ai hésité à poser un outil ou à le garder en matin. Puis, je ne savais pas si je devais passer par dessus les ficelles posées dans le chantier, ou en dessous. Le tout accompagné d’une gêne progressive, d’un sentiment de ridicule qui montait.
Tout ce qui était fluide avant devenait l’objet d’hésitation. Je ne savais plus comment faire pour avoir l’air normal et confiante, enfin soudain, je me posais la question de comment faire. Bon là déjà, on voit le hic. De fait, une part en moi voulait apparemment avoir l’air normal et confiant pour ne pas se ridiculiser, alors que montait en moi quelque chose qui était pas du tout dans cet état d’esprit. La panique s’installait progressivement à l’idée que mon malaise se voit, et derrière le fait que le malaise se voit, il y avait une énorme angoisse, comme si la caméra reculait et qu’une distance vertigineuse m’éloignait des autres soudainement, dans un apeurement sans nom…
Observation de l’identité affleurante
Contrairement à d’habitude, j’ai eu une 2ème part observatrice qui est montée rapidement en moi et qui s’est mise à analyser « l’évènement ». Habituellement, quand ces manifestations adviennent (quand je tente une petite immersion risquée dans un groupe), je suis dans le tunnel du début à la fin. Je vis le moment avec douleur, puis je déprime, puis ça passe, et, depuis quelques années, j’ai des montées de conscience derrière (voir Misère et ampleur du groupe). Là, après peut être 30 m, j’ai commencé à « me voir ». Je voyais l’identité affleurante en moi, que je connaissais bien, qui se manifestait quand j’étais au contact d’un groupe que je ne connaissais pas. Mais je ne l’avais jamais observée ainsi, comme séparée de moi. Elle était incontrôlable, cette identité. Elle prenait la main, pensait, se comportait comme si je n’étais plus cette femme indépendante, confiante, enthousiaste que je suis (pas toujours), mais l’exact inverse (je le livre avec la perception que j’ai de moi à ce moment là et j’ai 13/14 ans) : une pauv’ fille maladroite, en contrôle, hésitante, ridicule, qui fait fuir les autres parce qu’elle les met mal à l’aise, et qui soulève la pitié (à défaut de soulever la moquerie). La fille qu’on regarde avec commisération, mais de loin, parce qu’elle est gênante. La fille essaye désespérément que ça ne se voit pas, sinon elle s’enfuirait directe sans parler à personne mais alors elle serait définitivement disqualifiée, officiellement inintégrable. Et donc elle serait grillée. Alors elle s’accroche et elle essaye de faire comme si tout allait bien. Mais ça se voit que ça va pas.
Cette identité qui pilote s’associe à une énorme angoisse. Je ne saurais la décrire. C’est une sorte de panique intérieure et de désespoir mêlés, de sentiment de solitude infinie, de honte de soi, de discrédit de soi. S’y associe l’espoir insensé, la supplication intérieure d’être vue, reconnue pour ce que l’on est, pour la véritable personne que je suis, et pas ce magma honteux (et probablement que personne n’en voit rien, c’est le principe de l’écho sur un point sensible) avec cette incapacité à laisser le flux juste sortir, même si c’était pour dire : je suis pas bien !! Enfermée, coincée en soi. La supplication reste muette. Mais à l’intérieur, c’est en état de liquéfaction avancé.
Là j’en parle comme ça parce que je l’ai analysé sur le temps du midi. Mais sur le coup, c’est juste une identité de moi larvée qui pilote. J’en ai les ressentis. Mais pas la distance. Je suis affolée. Et j’y suis totalement identifiée. Oui, ce truc, c’est moi, totalement moi.
La sortie
Dans cette énergie douloureuse qui me traverse, vient soudainement en même temps un flux de conscience dans ma tête, comme un manuel détaillé pour comprendre ce qui se joue. 7 étapes m’apparaissent pour mettre de la conscience sur l’expérience, sortir l’émotion, comprendre ce qui se joue. Je fais des allers retours avec ma brouette, j’écris dans ma tête les 7 étapes. Je suis excitée, mais en même temps, l’autre part continue à être angoissée et malheureuse. Les deux cohabitent.
Contrairement à d’habitude, toujours en prise avec l’angoisse et la certitude du discrédit total dans lequel je suis, à 12h, je décide que c’est bon. Je ne vais pas faire semblant que ça va, je n’irai pas manger avec les autres. Bref, je renonce à démontrer que je suis intégrable. Ca me cisaille… mais pour la 1ère fois, je me prends (enfin) au sérieux, surtout je rend mon état intérieur prioritaire sur la nécessité de tenir à tout prix. Je me choisis moi avant l’intégration désespérée.
J’arrive péniblement à aller voir une personne du groupe, toute contractée, tentant malgré moi d’avoir l’air ok (mais de quoi aurais-je l’air si je n’essayais pas ?!) pour dire à mon interlocuteur : je ne vais pas bien, je ne vais pas pouvoir manger avec vous, je reste dans ma voiture, je vais tenter de lâcher, et soit je pars, soit je reviens, mais si la voiture disparaît, c’est normal.
Quel soulagement de mette fin au simulacre… à la nécessité d’assurer, de tenir que je m’inflige comme une nécessité non négociable, comme si le retrait signifiait la fin de toute chance d’être heureuse. Je suis maladroite, mais je tiens. Malo en face me dit ok. Je me replis dans ma voiture et je contacte enfin seule à seule la part souffrante en moi.
A se tirer une balle
Je ne vais pas aller dans le détail. Elle me parle de tout ce que j’ai vécu, par à coups, dans l’adolescence, et autant dire que c’est un put*** de cauchemar. A se tirer une balle.
Cette identité me révèle le déni de moi. Comment ma part exacte a été mis en berne, par les autres, mais par moi aussi. Comment je me suis retrouvée bête curieuse suscitant la pitié des autres dans un camp en Corse, au ski l’année suivante, peut-être au collège (mais sans doute moins), peut être dans d’autres expériences de camps, de trucs, en groupe.
Comment je me suis retrouvée dans le corps d’une fille pitoyable. Comment j’ai été réduite à ça, sans que rien, aucun regard ne vienne me dire : je te vois. Sans qu’aucun regard ne vienne me rendre ma vraie identité. Ce regard qu’on retrouve chez nos parents, chez nos amis, chez ceux qui nous aiment, et pour qui on vaut le coup. Bref, j’ai retrouvé cette sensation horrible de disqualification quand l’évitement des autres semble n’avoir qu’un but : éviter la contamination.
Dans ma voiture, j’ai ressenti après un temps une énorme colère. La colère de cette image galvaudée de moi, dans laquelle je m’étais glissée, et dans laquelle on m’avait laissée aller. Je n’étais pas ça. Put*** non je n’étais pas ça. Mais c’est à ce « truc », ce « machin » insipide et ridicule qui se liquéfiait là, faible et désespéré, mais contracté en même temps, incapable de fléchir…
J’ai eu beaucoup de libération émotionnelle dans la voiture. C’était fort et intense. Mais il m’est resté cet ébahissement de l’enfer que j’avais oublié. Cette prostitution de mon moi, de mon être. J’ai pensé à tous les adolescents dont le vrai moi était éteint ainsi, caché, face aux autres. A ce déni de soi. Comment notre part rayonnante semble n’avoir jamais existé. Comment on n’est que le pauvre machin qui sonne faux et mets les autres mal à l’aise. Comment si nous étions catégorisé définitivement ce « machin » et que personne, personne, ne pouvait voir la vraie part à l’intérieur.
J’ai pensé aussi à ceux qui y étaient encore, là, en même temps que je faisais ma petite libération émotionnelle, et qui souffraient de ce moi dévoyé et pitoyable (c’est ainsi qu’on se ressent, mais on ne l’est tellement pas…), d’autant plus pitoyable qu’on y résiste, ego oblige, et que tout sonne tellement faux (contrairement aux hypersensibles doux). Cette souffrance d’être étiquetée, définie par les autres comme « pas cool », « pas bon », alors qu’au fond, on sait que l’on est, mais personne ne peut nous le renvoyer.
Un seul regard…
Dans ces moments là, notre seul besoin serait une personne, une seule, qui nous dirait « je te vois » (cette phrase dans Avatar…). Qui ne s’arrêterait pas à l’image du faux-self, sonnant faux, lourdingue. Et qui sait que derrière, il y a juste un égo qui essaye de sauver les meubles. Qui sait que derrière, il y a le vrai moi, cool, heureux, marrant peut-être, chouette quoi.
C’est le regard de notre ami qui suffit à nous faire nous sentir bien où qu’on aille. Ce regard qui nous rassure car dans ses yeux, on voit qui on est. Celui avec qui on se sent fort et indépendant du regard des autres. Et puis quand l’ami n’est plus là, on s’effondre. La peur revient, qui suis-je ? On retrouve l’affleurement de cette identité dévoyée (et tellement attachante, Bon Dieu, en fait).
Emeline me disait qu’il y avait une fille qui l’agaçait dans sa classe. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu qu’elle parlait trop fort, qu’elle était trop ceci, trop cela. Et j’ai réalisé que notre fuite de la vulnérabilité, nécessaire pour survivre, nous rendait insupportable. C’est dans le faux self qu’on s’en prend le plus dans la gueule. Dans cette partie artificielle qui prend le dessus pour éviter l’apocalypse de se montrer triste, désespérée, honteux, à la merci des autres, bref, des sentiments que tout le monde fuit pour ne pas être pitoyable. Disqualifié quoi.
Je ne suis pas cette fille. Mais là d’un coup, je la respecte. J’en ai eu honte, et j’avais honte de moi. Mais en fait, je ne suis pas ça et je ne l’ai jamais été. Chaque fois qu’elle est montée en moi, je m’y suis identifiée. Et là, je la vois. Pour la 1ère fois. Clairement.
J’ai été poussée à ce discrédit intérieur, nous sommes facilement poussé à ce discrédit intérieur, surtout quand nous ne rentrons pas dans les normes. Quand nous ne sommes pas ce qu’il est de bon ton de montrer. Alors à 13 ans, c’est ce qui c’est passé.
Mais je peux reconnaître que la gamine de 10 ans que j’ai été n’était pas dans ce discrédit, dans ce contrôle, en fait. Elle n’était pas en contrôle, apeurée par le jugement des autres, essayant de faire comme si c’était ok. A 10 ans, elle était (encore) libre, indépendante, fonceuse, atypique, spontanée, curieuse et enthousiaste.
N’est-ce pas fou, cette société qui nous amène de cet endroit, à cet autre endroit en quelques années de façon si efficace ? Est-ce écrit quelque part, cette folie entre 11 et 14 ans, qui rend la plupart des ados si normés, si jugeants, si conformistes, si étiquetants, si peu aimants et qui génère une telle brouettée de traumatismes pour les moins adaptés (ou les plus sensibles) ? A t-on jamais envisagé de s’interroger sur cette question ?
C’est si étrange qu’on ne veuille pas creuser à cet endroit. Et si normal, qu’on ne veuille pas creuser. Car comment gérer le résultat ? Quoi en faire dans une société si rigide et suspicieuse du changement ?
Récupérer l’énergie, puis pardonnez
Dans cet espace de ma voiture, j’ai ressenti après la colère beaucoup d’amour pour cette part qui a douté. Pour cette part en moi qui s’était mise en contrôle puisque apparemment quelque chose n’allait pas chez elle. Elle était effectivement apparemment hors des clous. Plutôt immature. A 11 ans, elle ne comprenait pas les marques, les garçons, la danse, les clopes, et elle avait encore envie de jouer. Ca craignait. Le doute s’est installé l’été de mes 10 ans. Après, la graine était là. Il suffisait de l’arroser.
J’ai eu une dernière phase alors dans ma voiture. J’ai entraperçu toute l’énergie que j’avais laissée dans ces situations où je m’étais galvaudée. Alors j’ai décidé de récupérer toute l’énergie, toutes ces parties de moi que j’avais dilapidée pendant ces 4 ans, de 11 ans à 14 ans. J’en ai récupéré une partie, il en reste probablement encore. Mais j’ai ressenti comme il était hors de question que je laisse quoique ce soit de moi à ces endroits. J’avais l’impression de récupérer des parcelles de mon âme progressivement, comme un puzzle qui se reconstituait. C’était une sensation jouissive que j’avais déjà un peu expérimenté, avec moi ou avec certains clients, mais là c’était une cure.
Ensuite, je me suis demandée pardon : d’avoir douté, d’avoir cru les autres, d’avoir accordé ma confiance en sacrifiant mon âme à la place.
Puis je me suis apportée ce regard qui m’avait manqué. Je suis allée visiter tous ces moments douloureux, et je me suis regardée, et j’ai dit à l’enfant ou l’ado : je te vois. Telle que tu es vraiment. Je me suis dit aussi : je t’aime, dans toutes tes parts, y compris la pas glorieuse. Parce qu’elle est humaine et qu’elle ne dit rien de toi, sur le fond. C’était plutôt cool à entendre. L’adolescente s’est incroyablement détendue à l’intérieur…
Là à présent, je pense à ma nièce, Sarah, qui a 36 ans maintenant. Je pense au massacre psychologique opéré sur elle au collège. A son incapacité à présent à aller dans sa vulnérabilité (son Tchernobyl comme elle l’appelle). Et je mesure combien notre âme est meurtrie dans ce que nous sommes, enfants, ou adolescents, sans que nous osions le regarder en face, adultes. Comment nous noyons la misère dans l’oubli. Comment notre âme n’oublie pas, néanmoins. Et comment tout cela pilotera notre vie, nos situations récurrentes, nos crises, nos mal-êtres si incompréhensibles parfois.
Mon Dieu comme nous faisons souffrir nos enfants avec la bonne conscience du toit, de l’éducation, et du pourvoiement à nos (put***) de besoins matériels. Comment nous nous aveuglons en la matière.
Mon Dieu comme la négation de soi est un arrachement de notre âme. Et comme nous devrons bien un jour y faire face.
Et mon Dieu que c’est bon de enfin le reconnaitre. Reconnaître la souffrance qui a été. Enfin…