J’ai accompagné K. il y a quelques temps.
K. est quelqu’un de très posée, clairvoyante et tolérante. Elle est sage. Mais en vérité, elle est souvent en effort parce qu’elle ravale.
Elle ravale et ne se met pas en colère. Elle tient bon.
Sa colère n’est pas palpable. Ce n’est pas comme la peur que l’on peut voir dans les yeux de la plupart des gens, surtout ceux qui font du développement personnel ! C’est une colère bien cachée, au fond, une colère de l’âme, par dessus laquelle se pose un désespoir, un fort sentiment d’impuissance. Le conscient n’a accès qu’à ces sentiments, il ignore tout (ou presque) de la rage qui habite plus bas.
Quand K. exprime sa vie, c’est comme si elle était acculée en permanence. Elle parle des situations, des gens, et tout (ou beaucoup) l’agresse, mais l’injonction d’adaptation est plus forte que le non. Elle raisonne beaucoup, essaie d’expliquer, de justifier, tant son attitude que celle des autres. Bref, elle essaie d’être sage. Et au bout du bout, la colère ne sort pas. Cela pourrait être anedoctique, mais à force, elle a juste parfois envie d’en finir. Parce que la vie ne ressemble à rien. Parce que à force d’encaisser sans exprimer, le cœur est chargé au delà de ce qu’il peut prendre.
L’interdiction de la colère
K. s’est probablement interdit la colère parce qu’elle y a été confrontée dans son enfance : à l’école, avec papa, maman, les frères, parfois la sœur. C’est une colère tellement confrontante, écrasante, angoissante que quelque chose en nous se l’interdit ensuite.
Cette colère exutoire que nous subissons enfant est moche. Elle rompt l’harmonie dans la famille, elle sert le ventre, le cœur, elle nous rend triste, angoissé, et longtemps après, une tension demeure. Une grande tristesse. Cette colère que nous avons subie dans notre enfance, elle n’est pas libératrice pour celui qui l’exprime. Ce n’est pas une sainte colère qui exprime des besoins non respectés. C’est une colère exutoire.
La colère exutoire sert à libérer de l’énergie de façon éphémère, mais sans aller dans la souffrance d’origine qui génère la colère. Le déclencheur paraît pourtant bien coupable, que ce soit notre enfant, notre femme (ou homme), notre salarié, les banquiers, Macron, les gauchistes, etc. Mais derrière cette colère, il y a une incapacité à aller contacter (et libérer) le gros chagrin, le gros manque d’origine. L’humiliation subie dans l’enfance, l’injustice, le manque d’amour, la violence, l’envahissement, la soumission, la contrainte, le manque de sens, le manque d’amour, etc.
Pour l’enfant qui recherche à tout prix l’harmonie et l’amour, ces colères exutoires sont un traumatisme. Elles sont hyper anxiogènes, d’autant plus qu’elles ne libèrent pas le problème de fond : l’énergie du problème source n’est pas décristallisée. L’autre n’est qu’un objet de défoulement, il n’y a pas d’apaisement après. C’est comme tirer un coup. Ca devrait soulager, mais ça ne soulage pas. Parce que le besoin est plus profond, plus existentiel. Je reviens sur ce témoignage dont j’ai déjà parlé dans MindHunter qui dans un des premiers épisodes raconte l’histoire de Clarnell Strandberg, un des premiers serial killer (ou identifié comme).
Celui explique que l’envie de tuer monte régulièrement,et quand elle est là, il a besoin de la défouler, sinon il devient fou, c’est trop douloureux. Alors il tue, l’énergie se calme, puis elle revient. Et il re-tue. Son gros chagrin d’impuissance ou de manque d’amour de l’enfance n’en sera pas guéri. Il défoule, simplement. Il parle d’ailleurs de ce gros chagrin, et c’est poignant. Sa relation à sa mère l’a coupé de toute sa puissance, de l’amour. Elle a été destructrice. C’est d’ailleurs elle qu’il a tuée en premier.
Bref. La colère exutoire est notre lot dans cette civilisation car la colère n’est pas clairement autorisée. Elle est « mal », surtout pour une hypersensible qui tente d’être sage, histoire de ne pas faire comme les autres.
Sainte colère vs colère exutoire
Pour distinguer la sainte colère de la colère exutoire, car c’est la première question que l’on va se poser, on peut objectiver que la cible n’est pas forcément la bonne dans la colère exutoire. Ce sera plutôt une cible « gentille », plus faible, plus naïve, plus gentille. Ou quelqu’un sur qui on a un pouvoir : un salarié, une épouse, des enfants. Ou quelqu’un qu’on ne voit pas, qui n’est donc pas à proprement parler « humain » mais plus une image sur laquelle on focalise, de loin : les méchants, les salauds, les politiciens, les gens, etc.
Enfant, on se conditionne inconsciemment pour ne jamais, jamais infliger ça aux autres. Parce qu’on croit que toute colère est maltraitante. Elle devient un non-sujet. Elle n’existe pas ou très peu. Nous devenons « sages ». Nous préservons l’harmonie à tout prix. Et aussi notre image de sage qui nous fait croire que ainsi nous serons respectés.
Tout au long de notre vie, nous aurons l’impression de « ne pas ressentir » de colère. Ou ponctuellement, sur les bords, avec nos enfants, ou nos voisins, ou les méchants du système. Mais dans le reste des relations « sociales », la colère sera absente. Même quand nos limites sont dépassées. Même quand nous ne sommes pas respectés.
L’accumulation, quand l’âme chauffe
Au fond de nous, cependant, tout est engrammé. Une part commence à chauffer. Et elle ne fait pas partie de notre conscient. Elle est sauvage et autonome. Plus exacte aussi. Et elle commence à en avoir ras le bol d’encaisser sans moufter. Sourire, ravaler, assurer, tolérer, préserver, être irréprochable, tout ça est bien joli, mais est-ce que je me respecte ? Est-ce que je ravale ? Je fais quoi de cette énergie que je refoule à chaque fois, et qui s’entasse, là, dans mon ventre, dans mes cellules, dans mon corps et mon coeur ?
A mesure que l’on prend ce qui ne va pas, qu’on ne pose pas nos limites, que l’on se fait « bouffer », juger, et (pour les hypersensibles qui savent écouter) que l’on sert de réceptacle au mental (plus ou moins fébrile, voire malade) de celui en face qui a besoin de « décharger »; une part en nous accumule, au fond, un bon, un bon paquet de colère.
Concernant K, la colère est inodore. Elle ressent clairement une angoisse, un mal-être, et ponctuellement, une envie de mourir, un aquoibonisme aigu. Parfois ça va mieux, souvent ça revient. Des « édulcorants » extérieurs viennent assouplir cette souffrance dure, désespérée. Mais évidemment, ce ne sont que des édulcorants, l’effet est immédiat mais court.
La colère de l’âme vs la sagesse
Quand nous allons au fond, oh surprise, que découvrons-nous derrière ce désespoir et cette envie de dire bye-bye ? Une grosse colère. Une sainte colère. Celle de son âme. Extraordinaire… Mais maintenant, on la sort comment ?
Ca va être toute une histoire, pour la faire sortir, cette colère, Parce que intérieurement, engagement a été pris d’être sage. On ne sait pas « péter un câble ». On ne sait pas hurler. On n’ose sortir ce truc violent, d’autant plus qu’en ayant été retenue, l’énergie est distordue, comme toujours : c’est donc de mauvaise foi, hurlant, méchant, animal, alors que nous, on est parfait, respectable et aimable.
Cette obsession de la sagesse est typique de la femme hypersensible. Car elle est sensible à l’harmonie. Et parce qu’elle espère obtenir le respect et l’attention qu’elle n’arrive pas à obtenir en restant elle-même, sauvage, entière, colérique, vivante et sans doute puissante. Alors elle devient parfaite. L’histoire de n’avoir rien à se reprocher. Histoire de pouvoir être (enfin) respectée.
Est-ce que cette sagesse a amené ce que l’on recherchait ?
K. a t-elle vraiment obtenu l’amour, le respect et la vie qu’elle voulait en jouant les anges en ce bas monde ?
Pas vraiment.
Elle a juste donné à l’autre l’occasion de s’engouffrer dans un espace qu’elle laisse ouvert aux 4 vents. Quand on sent qu’on ne sera ni jugé ni suspecté ici, malgré nos bonnes intentions, parfois, on s’engouffre. Et on se saisit : de la patience, de l’écoute, du non-jugement et du doute sur soi, pour décharger.
La sagesse, c’est chouette. Mais la sagesse à tout prix, ici, dans ce monde, c’est risqué. Ca se voit à l’état dans lequel on finit à 30, 40 ans, parfois, on est rincé. Tout ce qu’on a avalé s’est accumulé à l’intérieur et a fini par éteindre la vibration. Ca prend tout l’espace, et ça donne envie d’arrêter là. On se croit dépressif, et puis on réalise qu’on est juste bouffé par la colère non exprimée. Enfin, si on va faire un tour du côté de la kundalini. Parce qu’elle nous montrera ce qui est.
La sagesse, c’est chouette, mais surtout, c’est précieux. Elle doit être donnée à qui la demande, ou qui la partagera avec nous. Elle doit être donnée quand il y a une promesse de boucle. Quand c’est deux cœurs ouverts qui échangent. Peut être l’un qui donne et l’autre qui reçoit. Ou les deux qui émettent. Mais il doit y avoir une boucle d’énergie. La sagesse ne peut s’offrir naïvement au mental, car celui-ci , souvent, ne pourra s’empêcher de la consommer ou de la dévaloriser.
La sagesse à tout prix nous rend consommable à merci. En l’adoptant comme principe de vie, en supposant que tout le monde rentrera dans la boucle, on s’invente la plus grande illusion de notre vie.
Et quand nous sommes percé(e)s au cœur, foulé(e)s au pied, quand nous sommes vraiment trop détruits pour profiter de là où notre sagesse pouvait faire boucle avec l’autre, nous sommes mûrs pour ouvrir les yeux sur notre illusion.
C’est ainsi. Ce n’est la faute à personne. C’est à K. de sortir de ses illusions. Pas aux autres.
Je résumerai en disant : fuck la sagesse (à tout prix) car nous sommes incarnés.
Finalement pour K, la colère n’est pas sortie sur cette séance. Mais la force de sa kundalini l’a envahie. Elle a senti qu’elle n’était pas seule, que c’était sauvage là-dedans, et que ça tenait un bien autre discours que le sien si désespéré mais toujours raisonnable. Et évidemment, j’ai oublié de le dire, colère exprimée, énergie libérée, fin du désespoir.
Enfin, jusqu’à la prochaine couche.
Exercice pratique
Une phrase :
Je reconnais la femme sauvage en moi, je hurle quand on ne me respecte pas, quand on n’entend pas mes limites, et je rends service ainsi à l’autre qui peut reprendre son mental et contacter sa propre souffrance.
En cas de désespoir, faire le HAKA néozélandais pour sortir la colère (après un petit échauffement kundalinique), c’est peu ou prou ce que propose la kundalini quand il s’agit de sortir la colère : mêmes borborygmes, mêmes mouvements, même tirage de langue. C’est brut mais ça fait du bien !