Je m’interroge beaucoup dernièrement sur ce qui nous permet d’être bien ensemble, nourris par les autres, en spontanéité et en fluidité. Je raconte ici un goûter auquel j’ai participé… et du miel que l’on pourrait mettre dedans pour faciliter les rouages.
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La balade goûter
Je suis allée un jour faire une balade gouter avec un groupe de personnes hypersensibles/atypiques. J’étais plutôt à l’aise au début. Je me suis rapidement sentie mal. Le texte comme d’habitude a été écrit dans l’instant, et repris après.
Pourquoi ce goûter ? Les gens « normaux » me paraissaient ennuyeux, j’avais décidé que les personnes dans ce profil pourraient peut être nourrir ma soif d’intensité, j’étais donc venue rencontrer des gens au regard brillant, focus et assoiffées de vérité. Le fantasme tourna court. Je me retrouvais avec des personnes incertaines, parfois tremblantes, ou au contraire tranquilles et bonhommes, mais pas très intenses. Enfin je me retrouvais avec des gens normaux quoi. Mon petit mental exigeant (et pour tout dire, assez con) s’est fait son idée en 5 mn. Ce n’était pas très glorieux, de plier l’affaire en si peu de temps, mais c’est ce qui passa. J’en pris mon parti. Sans autre turbulence.
Mais j’étais pas rendue. Car au delà de la bonhommie, ou de la normalité, quelque chose ne fonctionnait pas. Et cela est devenu rapidement assez malaisant.
Nous étions comme parachutés là, les uns à côté des autres, à marcher à travers le Thabor qui soyons honnête, est mignon, mais c’est pas le spot de rando de ouf non plus, comme hésitants, un peu perdus. Comme d’habitude, les bavards trouvèrent un interlocuteur pour bavarder (c’est mon cas), et les non bavards se retrouvèrent un peu derrière, rejouant le scénario de leur vie, en espérant pouvoir intéresser quelqu’un, mais sans se retrouver dans une conversation poussive et sans énergie.
Mais, même pour moi bavarde, quelque chose manquait. Après quelques tentatives par-ci par là, je fûs obligée de reconnaître que la discussion tirait dure. Particulièrement dure.
Alors, que se passait-il ?
J’avais en fait ‘impression que nous étions comme des gamins de 3 ans balancés dans une classe le jour de la rentrée (le cauchemar soit dit en passant), ne sachant pas quoi dire, quoi faire, et sans comprendre le sens de pourquoi on était là. La joie était absente, tout le monde semblait préoccupé soit par la peur de ne pas s’intégrer, soit par la peur de ne pas paraître normal, ou pire, mal dans leur peau. Les 1ers étaient fébriles et le regard perdu, les 2ème étaient convenus et effrayants. J’hésitais entre les deux, mais je sentais les deux me titiller à mesure que mon malaise grandissait.
Tout va bien, circulez (ou plutôt marchez et détendez-vous)
Dans cette non facilité pour nous rencontrer, après 20 minute de marche approximative, j’allais discuter avec l’organisateur de la balade pour comprendre le fil de la rencontre. Alors que je parlais avec lui d’hypersensibilité et lui demandais le pourquoi de son intérêt pour le sujet (et de ces balades peut-être !), il me répondit cela : je n’ai pas de problèmes dans la vie, je suis parfaitement heureux, mais je creuse l’hypersensibilité de manière générale, pour être plus heureux.
J’eus du mal à accorder crédit à sa déclaration. Comme le dirait Krishnamurti, ce n’est pas un signe de bonne santé mentale qu’être adapté à une société malade. O. me renvoyait à cette nécessité maladive et bien occidentale de toujours sembler ok et bien adapté pour pouvoir se sentir faire partie du tout. Il avait tous les symptômes de l’hypersensibilité, mais la non-adaptation semblait le problème à résoudre et non la conséquence d’un problème plus en amont. L’extinction du symptôme semblait le satisfaire, l’adaptation la règle. Et puisque l’adaptation est la règle, marcher tous ensemble au Thabor lui paraissait donc un cadre suffisant pour que nous, petits hypersensibles traumatisés par la vie et les autres, puissions nous rencontrer dans la joie et la détente. Mais ça ne marche pas comme ça.
J’ai alors ressenti comment différente aurait été l’expérience si vous avions d’abord pu partager un gramme d’humanité les uns avec les autres. Non pas l’humanité forcenée que nous vend la société (joie, confiance en soi, force, certitude à tout prix), mais l’autre bord, celui que l’on nie, que l’on refoule, que l’on cache : nos peurs, nos doutes, nos réalités intérieures.
Le gramme d’humanité
Nous ne nous ressemblons pas. Nous sommes tous différents. Certaines personnes nous renvoient une image négative, il y en a qu’on ne sent pas instinctivement, mais, au fond du fond, nous partageons la même humanité. Les mêmes peurs. Les mêmes aspirations.
Si nos carapaces et réactions sont toutes différentes, nous souffrons bien des mêmes maux à l’intérieur, en tout cas dans cette civilisation : manque de reconnaissance, d’amour, de présence, d’intensité, de vie, d’inclusion.
Et c’est toujours la même histoire. Chaque rencontre, chaque écoute profonde, chaque connexion avec l’autre m’apporte, nous apporte toujours la même histoire. A laquelle nous réagissons différemment. Mais le fond est bien le même.
Et il y a le reste de notre vie, notre effort permanent pour le cacher. Tout le monde fait semblant. Et les hypersensibles sont les dindons de la farce parce qu’ils n’arrivent pas à faire semblant, réceptifs qu’ils sont à l’énergie de leurs émotions. On les voit, c’est pas de pot !
Le gramme d’humanité, ce serait de ne pas servir la soupe habituelle, mais d’inverser le schéma. On sert ce que l’on craint le plus de montrer (et qui nous rend si apeurés, hésitants et passifs).
Je la refais, la balade
Partager un gramme d’humanité
Pour symboliser la sortie de l’esclavagisme, nous nous donnons un gramme d’humanité à l’inverse de la matrice.
Déjà, nous nous rencontrons dans un espace plus ouvert, où les chiens peuvent jouer ensemble sans se faire engueuler par les gardes du parc !
Nous nous réunissons en cercle, d’abord, pour être ensemble, et l’organisateur nous explique le but de cette rencontre. Il pose son envie, son intension.
Il nous propose ensuite, avant d’oeuvrer collectivement, de faire l’inverse de habitude. On a l’habitude d’essayer d’être cool, à l’aise, sûre de soi et bien dans sa vie ? On va servir son émotion, ou sa plus grande peur. Quelque chose de vrai.
On le fait en binôme. On respire un bon coup, et allez, un truc vrai sur moi que je n’ose pas dire habituellement. Et fuck la matrice !!!
Nous accueillons chaque partage qui nous est donné avec respect et attention, puis nous donnons le notre. On peut rebondir derrière si on le sent, mais rapide.
Que le courant passe ou ne passe pas n’a aucune importance. Notre âme s’en fout. Donc nous aussi. On laisse faire. Mais on prend acte. Je repense au film avatar 1. Quel que soit le ressenti, on dit à l’autre « Je te vois ».
Peut-on faire ça dans une rencontre où personne se connaît ?
Ne serait-ce pas chouette ?
Se sentir part du tout
On peut marcher. Mais ce n’est sans doute pas assez. La marche ensemble génère déjà l’injonction à parler, bien s’entendre. Moi qui discute facilement, ça va à peu près. Mais je vois déjà certaines personnes de ce goûter pour qui ce serait à nouveau une pique dans leur point déjà sensible. Ils se sentiront exclus. Le même pattern éternel.
Alors, comment faire en sorte que chacun se sente une brique d’un tout plutôt que intimé de s’adapter aux autres avec un naturel et une fluidité qu’il ne ressent pas ?
Il faut donc un tout. Une œuvre collective.
Ou chacun à son importance.
Où l’on peut travailler par groupe. Et chaque groupe participe à quelque chose de nécessaire.
Bref, participer à un tout.
Sans qu’il y ait nécessité de bien s’entendre. De se ressembler. De discuter longuement.
Juste être membre d’un tout.
Car le but proposé habituellement de « se rencontrer » ou « rencontrer du monde » est (déjà) une forme de maltraitance (oui j’exagère, mais pas tant que ça). Elle met énormément de pression sur un endroit où nous sommes tous déjà traumatisés par les injonctions et l’incapacité à remplir le rôle qui nous est demandé. Rencontrer les autres ne peut être le but.
La rencontre ne peut se faire que dans la cohabitation vers un sens commun. Elle est naturelle et non programmée. Elle va de soi, mais elle vient par la bande. Et elle n’a pas à être bonne, positive, etc. Elle est, à travers le sens commun.
Bref, si je peux me permettre une image pour les plus autistes d’entre vous, c’est la différence entre discuter avec quelqu’un assis face à soi sur une chaise en plein milieu d’une salle de restaurant, et discuter dans une voiture en allant dans la même direction. La fluidité (et le stress !) n’est pas le même.
L’œuvre collective
Qu’est ce qui fait sens pour tous, pleinement, et qui peut être partagé en une après-midi ou une journée ?
A peu près n’importe quoi à vrai dire, pourvu que cela fasse sens, soit vibratoire, et non injonctif !
- Une expérience corporelle forte (danse, tantra)
- Une expérience musicale (percussions corporelles, percussions tout court, chant)
- Une expérience créative (tagger un mur, créer un livre de haikus, faire de l’impro théâtrale)
- Une expérience de construction (maison en terre, poulailler)
- Une expérience de cuisine collective
- Un projet !
- Etc.
En tout cas le but ne peut être la rencontre, car elle ne se fait que par la bande. Un repas n’est pas juste un repas. Il doit y avoir quelque chose de spécifique. De grandiose. de génial. Ou de spécial, d’original. Peu importe. Mais le but doit résonner pour tous.
Car nous avons besoin de ressentir que nous allons dans la même direction, et qu’elle génère une vibration commune.
C’est ce que nous ressentons quand nous participons à un festival comme bénévole, à une chorale, à la préparation collective d’un repas, à une soirée jeux de société, à un concert, à un groupe de musique, à un projet dans notre boite (s’il est bien porté), etc.
N’ya t-il pas mieux pour nous faire sentir que nous sommes part du tout et que nous sommes ici pleinement accueilli pour ce que nous sommes ? N’y a t-il pas mieux pour nous autoriser à être nous-mêmes, qu’être à l’œuvre collectivement ?