Cet article est un article d’abord écrit sous le coup de l’émotion, comme souvent, puis repris plus tard, pour mettre un peu plus de conscience. En résumé, alors que je reviens d’un weekend en festival chamanique plutôt sympa, je me surprend à ressentir une bonne colère le lendemain. Le texte est cette mise à plat.
Tout d’abord, le set up : le festival est une série d’ateliers en journée pour les gens intéressés par le chamanisme et de façon plus large, par toutes les méthodes de bien-être et développement personnel.
Jusque là, tout va bien.
Je livre en vrac ici tout ce qui m’agacée, non pas sur le coup, mais en arrière-plan probablement, avant que je le conscientise plus clairement les jours qui ont suivi.
Et comme cette colère ne parle évidemment que de moi, je partage mes prises de consciences, qui parlent beaucoup de crédit accordé à l’extérieur, et nié à l’intérieur (comme d’habitude me direz-vous, et vous aurez raison !).
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J’ai vu (et j’ai été agacée par)
Le voile permanent sur la peur
- Les gens quand ils font semblant d’aller bien alors que la peur transpire dans leurs yeux.
- Les discussions où à qui mieux mieux on s’extasie sur le chemin, les outils, les progrès alors que leur discours semble une façon désespérée de se raccrocher à l’idée que ça va aller, « dites moi que ça va aller ». C’est donc la peur que ça n’aille pas qui transparaît. Ce serait mieux de simplement la dire plutôt que faire semblant que…
- Comment nous marketons notre développement personnel ici comme on markete sa vie sur les réseaux sociaux.
Sur les réseaux sociaux, c’est cousu de fil blanc, ici, dans ce contexte, c’était, je l’avoue, décevant (sans doute parce que je prends conscience d’une évidence que j’avais refusé de voir jusque là…). Mais finalement, c’est aussi tellement humain…
Le concours d’étalagisme
Je revois une amie que je n’avais pas vue depuis 4 ans. Elle passe notre temps de retrouvailles à me raconter comment tout ce qu’elle fait est super, comment elle a un don énergétique incroyable, comment elle fait des expériences de ouf, comme si je risquais de penser qu’elle n’a pas bouger ou que sa vie n’a pas de sens. Evidemment, ça transpire aussi la peur dessous, une part en tout cas. Evidemment, c’est bien humain, mais évidemment, là aussi, ça me gave. J’aimerais tellement qu’on puisse se le dire, sans avoir besoin de se gargariser de l’inverse, qui ne dit rien d’autre que notre peur… Bref, le concours d’étalagisme commence à me fatiguer à ce moment.
Je n’avais pas compris jusque là combien l’étalagisme parle de notre doute (ce qui n’enlève rien à la possibilité que nos dons, vies, expériences soient géniaux, effectivement). Et combien nous n’avons pas besoin de parler de ce que l’on fait quand on n’en doute pas, finalement. J’ai du mal à imaginer Jésus raconter sa vie en détail aux gens qu’il rencontre pour montrer que oui, il est sur la voie, et il a des supers pouvoirs. Suis-je assez bête pour demander aux gens de se comporter comme Jésus ? Apparemment oui !!
La réalité, c’est que cette amie n’est pas (encore) Jésus. Que comme tout le monde, elle a tellement peur de ne pas donner sens à sa vie, ou de ne pas y arriver, que la conversation tourne autour de la démonstration inverse, une sorte de rassurance fébrile et surtout bavarde. Que je préfèrerais qu’on parle de sa peur, car l’énergie circulerait vraiment et l’écoute serait profonde. Mais que parler de sa peur, ce n’est pas très sexy dans notre civilisation. Et puis assez facilement, on risque de s’attirer des conseils, des postures moyennes, du système.
Et pourtant, c’est bien ce qui est là pile poil au moment qui nous occupe. Sinon pourquoi méditer, si ce n’est pour trouver ce qui est là pile poil…
Le crédit à celui qui en dit le plus
M’a agacé aussi, je le confesse, mon copain Philippe quand il m’a expliqué au retour que cette amie semblait faire des trucs bluffants et incroyables d’après ce qu’elle lui avait raconté. Me vient alors que moi aussi, je fais des trucs bluffants mais que je la ramène pas. Et ensuite, petite vague de colère qu’il accorde soudainement son crédit là et pas à moi (et finalement, c’est toujours celui qui se la ramène qui remporte la palme, blablabla…).
La frustration ici (voir L’albatros dans la mare aux canards), vient de l’attente au mauvais endroit. Souvent, nous passons un bon paquet de temps à attendre reconnaissance à un endroit où ça ne peut pas voir de valeur. Cela me fait penser à une amie que je connais depuis peu mais que je trouve exceptionnelle. Exceptionnellement inspirée, perchée soit, mais reliée, vibrante. Sa famille et la plupart des gens autour d’elle la voit juste comme bizarre. Limite. Difficilement intégrable, même s’ils font des efforts. La question est donc : à qui demandons-nous de la reconnaissance ? Auprès de qui nous nous sentons reliés et en phase ? Ou auprès de gens qui ne sont pas dans la même reliance ? Car dans ce cas, notre vie sera une succession d’insatisfactions et d’amertumes… Ainsi, je me suis faite à l’idée, et cela semble parfait, qu’il y aura toujours des gens pour qui mes écrits paraitront inutiles, mon écoute superflue, et ma personnalité malaisante.
Les paillettes au cas où ça nous dégoulinerait dessus
M’ont agacée aussi les gens qui achètent les paillettes en espérant que ça leur déteigne dessus, surtout si ça peut leur éviter le travail de fond.
Evidemment, pourtant, quoi de plus normal qu’espérer le ruissellement ? C’est de bon aloi. Le tout est de s’en rendre compte.
Mais sur le coup, je ne suis pas dans cette observation lucide du genre humain et sa tendance à privilégier les raccourcis (sait-on jamais, sur un malentendu), je suis dans l’indignation. Car évidemment, je n’ai fait qu’une chose depuis 40 ans, ne pas voir la réalité : acheter le discours, les belles phrases, les certitudes, les efforts apparents, et ressentir pourtant en même temps un léger, parfois profond malaise, sans pouvoir mettre de mots ou conscience dessus. Bref, quelque chose sonne faux dans tout ça, mais je n’ai pas voulu voir le sonne faux. Trop occuper à vouloir donner crédit à l’humanité 🙂
Alors évidemment, le jour où la stratégie du raccourci apparaît dans toute sa splendeur (et sa lâcheté, un peu), comment ne pas ressentir une sainte colère ?
Je suis née avec un côté fleur bleue qui donnerait crédit à n’importe qui. Peut-être en croyant que tout le monde fonctionne comme moi. A mesure que la fleur se fane, la colère monte, et puis derrière, vient l’apaisement et surtout, la non-dépendance aux autres.
L’insouciance et la joie, de façon forcée
M’ont agacée (oui je l’avoue, ça fait beaucoup) les personnes qui, quand elles sont appelées à regarder quelque chose, par exemple pendant un atelier, demandent à ressentir joie et insouciance quand leurs yeux semblent indiquer un put*** de fardeau à décharger. La sensation relève d’un gâteau à la crème sur lequel il faudrait rajouter de la crème. Ou d’un abcès que l’on recouvrirait de peau neuve avant d’avoir vider le pus (c’est moins sexy, pardonnez-moi). Le fardeau se voit dans leurs yeux, dans leur corps, et donne envie de crier : mais ne vois-tu pas que tu as une tonne de tristesse et de colère à évacuer avant d’aller chercher la joie ?
Là encore, mon agacement ne parle que de moi. Je suis convaincue que la lumière se trouve dans l’ombre, mais c’est surtout que l’ombre ne me fait pas trop peur. Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Mais encore faut-il avoir enregistré fondamentalement que quelque chose de bon en nous participe à notre essence. L’ombre alors ne peut être pleinement ombre. Elle ne l’est que parce que lumière il y a. Et la lumière est au fond. Si en nous, est enregistré que l’ombre est délétère et sans contrepartie, comment avoir le courage d’y aller ? Avec un peu d’espoir, toujours sur un malentendu, on peut espérer bénéficier de quelques moments de joie et d’insouciance par dessus notre bouillonnement purulent.
Souvent ça n’est même pas satisfaisant…
Cette mièvrerie bisounoursme « je suis dans le coeur » « je suis dans l’amour universel » « je veux ressentir de la sérénité » « être en paix » « la joie » me rend souvent triste, même si je la comprends. Elle m’indique si peu de confiance en sa propre humanité, et si peu de contact avec sa propre puissance, et peut être envers le travail de longue haleine qui nous attend. Et qui est beau, et courageux. Et en même temps, tout est processus. Tout peut s’activer à tout moment. Et si ça ne s’active pas ? Une part de moi a bien du mal à supporter cette éventualité, je l’avoue.
Alors oui, il vaut sans doute mieux accepter l’idée que dans ce processus, on peut découvrir au gré des couches la personne que l’on craint le plus d’être (et dont on a soigneusement cultivé le pendant inverse pendant des années). Et puis, finalement, tout est transitoire. Elle ne dure pas. Au fond du fond, c’est magnifique.
J’adore a contrario
Cette perspective sur ce festival chamanique m’a renvoyée à certaines personnes que j’admire pour l’inverse : leur lucidité, leur courage. Et parfois leur lucidité sur leur manque de courage, ce qui est le truc le plus trippant que je connaisse.
Ce sont des femmes, souvent, et elles assument leur disquette. La beauté réside dans le fait qu’elles ne font pas semblant d’être nickel. Au moment où je l’écris, je réalise la puissance de ces femmes. Elles ont peur mais n’ont pas peur d’avoir peur… N’est-ce pas beau ? Rien de ce qui est humain ne leur est étranger, y compris quand c’est elle.
Pourquoi certaines personnes naissent-elles avec cette conviction chevillée au corps que l’humain est bon ? Ou pourquoi perd-on cette conviction si elle est là dès la naissance ? La réponse m’apparaît déjà à mesure que j’écris. Dès que nous doutons de notre puissance, quand nous perdons toute conviction de notre puissance au fond, tout est à cacher. Être humain est l’objet de honte…
Ce que j’en vois
- Nous accordons crédit à ce monde illusoire quand nous sommes enfants ou adolescent, nous sentant tellement à côté avec la sensation que notre vie est insuffisante, nulle, alors qu’en vérité, tout est marketing car nous entretenons l’image et le mythe que nous sommes arrivés.
- Cette vie sociale bien active se fait au prix d’un sacrifice de soi. Ma cadette est dans la suradaptation aux autres et au système. Sur le papier, c’est le succès. Mais la quête est superficielle. L’innocence l’a quittée. La magie a disparu en elle. J’en parle avec bonhommie car je ne doute pas qu’elle y reviendra, même si c’est dans une autre vie (j’espère pas cependant).
- Cet épisode de Black Mirror me revient : chaque interaction entre les gens donne lieu à une notation (ainsi chaque personne reçoit une note sur 5 qui lui donne accès à plus d’amis, et des avantages divers dans la vie, des prêts bonifiés, etc). Les gens sont obsédés par leur note, qui dépend grandement de à combien ils réussiront à vendre une image positive d’eux-mêmes, une vie parfaite, des photos léchées, pleines d’amour, un muffin débordant de caramel, etc. Ca ressemble (un peu) à ce que nous vivons sur Facebook et ailleurs. D’abord montrer à tout prix que tout va bien, sans bien savoir au fond si tout va vraiment bien (et sans doute que non).
- J’ai été moi-même coincée dans cette nécessité de montrer que tout va bien, d’abord au niveau professionnel, de façon maitrisée, plus laborieusement dans ma vie personnelle, hypersensible que je suis (donc sans y arriver). Je le vis sans doute encore parfois, cette rigidité inconsciente qui m fait apparaître ok et m’empêche d’apparaître vulnérable aux personnes qui sont là, alors que sans doute, cela serait parfaitement accueilli… Parfois, notre carapace égotique nous laisse si peu d’espace pour ce laisser-aller pourtant si doux.
- J’ai encore de l’agacement à voir combien on peut vouloir squizzer le processus en simulant le résultat, mais, je commence à comprendre aussi combien complexe cela peut être, quand on se sent insécurisé, de NE PAS simuler le résultat.
Je l’ai vu hier avec une cliente amie : simuler le résultat (tout va bien) semble surfer sur un état de panique intérieure dont je ne mesure pas pleinement l’ampleur quand ça a lieu. D’abord intéressée, je me fatigue, puis je vois la peur, puis je ressens la panique. Elle n’est pas consciente. C’est comme si l’inconscient était en panique. Mais je la reconnais à l’incapacité à soutenir regard et silence. Elle s’absorbe dans un bavardage sans fin… et cela aussi, est humain.
Allez, 10 propositions !
- Que les gens aient toujours un espace pour dire leur peur entre eux, avant toute chose. Avant de dire Ca va ? on dit Tiens, moi j’ai peur de…
- Qu’il y ait toujours un espace pour dire sa vulnérabilité avant de se la raconter et de sonner creux, comme pris dans un tourbillon qui nous fait aller exactement à l’inverse de ce que l’on voulait.
- Que nous sentions suffisamment de puissance à l’intérieur pour nous pardonner nos petits arrangements, comme je le sens chez ces personnes de mon entourage, droites dans leur bottes et assumant leurs disquettes avec humour, ce qui est fou et magnifique.
- Que l’on se la raconte, peut être, mais que l’on mette de la lucidité sur le fait qu’on se la raconte 🙂
- Que nous admettions (même en cachette) que le processus est à l’inverse du résultat.
- Que nous arrêtions de simuler le résultat. Déjà pour la 1ère raison que c’est pas sexy 🙂
- Que nous ayons le courage de regarder nos douleurs et nos parts mentales. Oui je sais, c’est pas glorieux, mais c’est humain (bordel).
- Que l’on reconnaisse notre perfection originelle. Car le cœur du sujet est là. Serions-nous si « mauvais » à l’intérieur qu’il vaut mieux ne pas y jeter un oeil ?
- Que j’arrête de reprocher aux gens leur faiblesse !!
Quelques mantras en phase pratique
- J’assume et aime pleinement mes incohérences, mes disquettes. Je me pardonne et m’aime comme je suis, avec mes faiblesses, pour pardonner aux autres.
- Je me pardonne d’avoir accordé crédit là où ça ne pouvait pas faire mieux.
- Je me pardonne d’avoir été faible et dans le doute. Je me pardonne de m’être soumis, de m’être exclu, de m’être galvaudé pour glaner une petite parcelle de sens.
- Je me pardonne d’avoir douté de moi, de ma puissance, de ma force, de ma beauté, de mon courage, de ma droiture, et d’en douter si souvent encore.
- Je me pardonne d’avoir tellement souffert de la non-intégration que j’ai maltraité mon âme en dévalorisant mon être.
- Je me pardonne mon humanité, mon incarnation et toutes les petites misères qui me conditionnent.
- Je pardonne aux autres leur faiblesse, leurs petits arrangements et leurs illusions, et je me pardonne ma faiblesse, mes petits arrangements et mes illusions, quelles qu’elles soient.
- Je me pardonne d’avoir crédité dans l’enfance le grand mensonge et la grande illusion de la matrice, et de ne pas avoir crédité ma puissance.
Hop