Cet article d’été, toujours sur cette réflexion de ce qui nous fait nous sentir bien, ensemble… surtout quand on est hypersensible !
J’ai fait plusieurs covoiturage dernièrement, et ma fille un hier. Ce matin, par SMS, elle me disait qu’elle « kiffait » trop le covoiturage. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de spécial quand on covoiture qui rend ce moment particulièrement animé, nourrissant, sans trop d’exigences sur l’autre.
Je me suis posée la question du pourquoi.
Voilà l’analyse.
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Pourquoi c’est chouette ?
Parce qu’on discute de ouf, parce que c’est intéressant, parce que ça devient rapidement philosophique, psychologique ou sociologique, parce que les gens osent parler d’eux un peu plus personnellement que d’habitude, et parce que même quand c’est pas intéressant, ça reste quand même distrayant.
J’ai souvenir ainsi d’une jeune fille de 17 ans qui nous a parlé pendant une heure de combien sa petite soeur l’énervait. Dans un autre contexte, j’aurais coupé la conversation. Mais là, franchement, je me suis laissée bercée par ses émotions, les quelques ponts que ça faisait dans ma tête avec mes filles, j’ai opiné du chef régulièrement, et c’était carrément pas désagréable !
Mais quels sont les ingrédients magiques de cette recette de connexion simple et sans pression ?
Pourquoi est-ce si dur de vivre ça dans le reste de notre vie, y compris à un apéro ou à un dîner entre amis ?
Qu’est-ce qui fait que ce moment est si nourrissant (quand il arrive) ?
Et question, peut-on le reproduire en dehors d’un covoiturage ?!!
Analyse des ingrédients
- Un espace où nous sommes réunis, proches (donc dans l’intimité spatiale de l’autre) mais pas face à face (donc non confrontés).
- Une entière disponibilité : sauf exception, nous n’avons rien à faire de précis. Nous sommes potentiellement 100 % disponible à la conversation éventuelle qui aurait lieu (si elle nous intéresse).
- Une action commune qui se fait à travers nous. La route. La même direction. Le même déplacement.
- Une totale liberté de parler et surtout de ne pas parler. Nous avons même la possibilité de dormir pendant que les autres parlent, ce qui est le comble de la non-pression…
- La rencontre n’est pas le but. Le but est autre, ce qui enlève énormément de pression sur le fait de discuter ou de ne pas discuter. Et quand il n’y a pas de pression, nous obtenons exactement ce que nous ne cherchons pas (puisque, rappelons-nous, le « processus est à l’inverse du résultat » !!).
- La conversation peut se couper à tout moment sans que ça pose problème. Le bruit du moteur, le défilé des paysages permettent de rester dans ses pensées sans se formaliser du silence. Le but du voyage (aller d’un point A à un point B) continue à se réaliser de toute façon.
Enfin, pour toutes ces bonnes raisons, il y a de l’espace dans la conversation. Le mental n’est pas très présent, nous sommes beaucoup dans le ressenti, dans cette légère auto-hypnose qui nous prend quand on conduit, et que l’on retrouve en post-drogue, post-sexe, post-fête… mental faible & disponibilité de l’âme. Ce qui nous permet d’aller plus profondément que d’habitude dans notre intérieur, de rentrer plus en contemplation, et nous alimentons la conversation de façon plus authentique, plus profonde.
Au lieu des ingrédients habituels suivants :
A contrario, une conversation sous pression, un dîner par exemple, présente les manifestations inverses suivantes :
- Les gens sont face à face, ils se sentent obligés de parler. Et il y a d’ores et déjà en stress à devoir absolument communiquer avec la personne face à soi.
- Ceux qui parlent beaucoup soulagent les autres. Ceux qui parlent pas beaucoup sont stressés par avance de devoir parler. Et stressés de ne pas parler.
- Quand on se retrouve à discuter avec une personne avec qui le courant ne passe pas, on ne peut pas s’arrêter, et d’ailleurs on sait pas vraiment quoi comment couper la conversation. On peut d’ailleurs ressentir la même chose avec une personne avec qui la discussion se passe bien, par exemple si on a envie discuter avec une autre personne.
- Dans le cadre d’un dîner par exemple, il est courant que quand une personne commence à parler, tout le monde l’écoute. Ce qui met beaucoup de pression sur celui qui parle. Tout le monde n’est pas à l’aise avec ça.
- Difficile de parler de soi vraiment dans ces conditions. Les conversations restent donc assez souvent superficielles ou extérieures à soi (politique, sociologie, art, etc. mais pas personnelles).
- D’ailleurs, il y a peu d’espace pour ressentir, respirer, et laisser aller ses pensées avant de s’exprimer. On doit répondre rapidement et un long silence serait un stress, non une invitation à la contemplation intérieure mais un constat panique que nous n’avons plus rien à nous dire et alors, vite ! trouver un sujet.
Je pourrais dire globalement que, me concernant, quand je suis dans un dîner, avant que la détente ne s’installe par le flow de la conversation, si le flow s’installe, mon mental est d’abord très présent, et laisse peu de place à ma « disponibilité » intérieure.
Ingrédients génériques de la discussion informelle et fluide
Maintenant, si je dois lister les ingrédients de manière générique :
- Le but ne doit pas être la discussion. Le but doit être autre, et la discussion une possibilité simplement. Sans injonctions. C’est une absence de pression qu’on retrouve facilement sur les activités en plein air, ou dans les moments de vie commune à plusieurs, quand on a le temps, le temps, le temps…
- L’activité commune doit générer un état contemplatif, une ouverture au ressenti, une disponibilité intérieure. C’est un état qu’on retrouve en post-méditation, mais aussi dès qu’on est en légère hypnose, chez le coiffeur, en voiture, etc.
- Les gens doivent être réunis dans un espace rapproché, mais surtout pas face à face. Ce qui recoupe le fait d’avoir le temps. Il n’y a pas un moment dédié à la discussion. Elle vient quand elle vient. C’est comme les fêtes. C’est les moins planifiées les plus extraordinaires… Ce qui nous renvoie à la nécessité d’avoir du temps ensemble. Comme en Afrique. Les gens discutent quand ça leur prend. Pas parce qu’ils organisent un apéro dédié à la discussion.
- L’activité doit donc autoriser chacun à faire ce qu’il veut en fonction de son besoin : dormir, lire, rêvasser.
- L’ouverture à l’autre : on pourrait appeler ça le sentiment d’appartenance et c’est un ingrédient bonus et assez rare. Extrêmement recherché quand on est jeune (d’où les fêtes, les concerts et l’alcool), on en fait ensuite de moins en moins l’expérience. Et pourtant, quel bonheur… C’est un état qu’on peut retrouver après un moment de libération émotionnelle collectif, après une fête poussée, après un trip psychédélique, après une méditation puissante à plusieurs, un concert incroyable, bref, après un évènement collectif fort de manière générale.
Bon, oui ça semble finalement assez communautaire cette histoire… du temps, du temps, du temps…
Des expériences de vie
Oui, tout ça nous ramène à la vie en communautaire, même si c’est le temps d’un weekend, d’un stage ou d’une tournée…
Quand on passe beaucoup de temps ensemble, sur une activité commune, une fluidité incroyable s’installe dans la relation à l’autre. Elle n’a aucune exigence, aucun frottement. Chacun est différent et pris comme il est.
C’est une sensation que j’ai beaucoup vécu en faisant partie d’un groupe de musique. On peut rester des heures à rien faire, à glander ensemble, à ne pas parler ou à parler, peu importe. On est de toute façon ensemble. On se sent appartenir au même but, on a du temps, nous allons dans la même direction et il n’y a pas de moment dédié à la convivialité. C’est à tout moment, quand ça nous prend.
Je réalise que c’est la même sensation que j’ai en famille. Nous n’avons rien à nous prouver au niveau discussions, car nous en avons déjà fait largement l’expérience. Il n’y a donc aucune pression quand on se voit. Nous ne sommes pas en stress de trouver un sujet ou de ne pas connecter avec l’autre, nous sommes vraiment dans l’instant présent. Ça parle c’est bien, ça parle pas, c’est pareil. Cette non pression, cette liberté et en même temps ce respect total de l’autre dans sa différence, sans doute à cause de ce sentiment d’appartenance, sont un puissant moteur à bonheur…
Ce qui m’amène à l’Afrique. J’y ai vécu 2 ans et en suis revenue toute ébaubie de tant de joie et de simplicité dans le lien à l’autre, un lien si compliqué et si souffrant quand on a grandi en France. Les gens passent le temps ensemble. Il n’y a aucune pression dans la discussion, dans le fait d’être ensemble. La différence n’est pas un problème. On est déjà ensemble. Cette pensée me renvoie au fait que notre isolement communautaire est une vraie machine à pression. Nous sommes isolés pendant la grande partie de la journée, de la semaine, entre 4 yeux avec notre famille cellulaire ou nos éventuels collègues de travail, et nous créons des moments d’échanges dédiés à l’interaction… Mais je ne suis pas sûre que nous fonctionnions vraiment comme ça.
Je ne suis pas sûre que les moments d’interaction, les discussions informelles, aient intérêt à être des parenthèses créées et planifiées spécialement pour. C’est comme planifié le sexe tous les lundis soirs. Nous ne fonctionnons pas ainsi. En créant des bulles pour y déverser toute ce qui n’a pas pu s’exprimer le reste du temps, nous mettons notre corps et notre inconscient sous pression et nous perdons une spontanéité, une simplicité qui sont pourtant le cœur de ce qui nous nourrit…
Nous avons besoin de temps, ensemble. Simplement. Sur des activités qui nous rassemblent. Et à côté de ces activités. Le être ensemble suffit quand le temps n’est plus sous pression…
Je pense aux adolescents et au chronométrage de leurs temps passé ensemble, en récré, dans la cour, et pour les plus chanceux, en dehors de l’école… Et puis à nous. Et notre chronométrage permanent des moments de vie…
Mon Dieu que notre monde (occidental) est inadapté à l’humain…