Dans cet article, je parle de ce que ça nous fait, quand notre énergie ne rencontre pas l’énergie extérieure. Adulte, et enfant. De la folie de cette frustration. Et de ce que l’on peut en faire.
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La frustration de l’adolescence
Quand j’étais enfant, mes parents étaient occupés et peu présents. Mon père était éleveur de porcs, ma mère était à la maison. J’ai cependant peu de souvenirs d’elle en interaction avec moi. Je la vois cuisiner, manger avec nous, regarder la télé. Je la vois interagir avec les autres. Mais je n’ai pas souvenir de moments d’écoute ensemble. De partage.
Quand j’étais enfant, je vivais à la campagne et j’avais un frère jumeau. Mon père était assez tyrannique, mais une chose est sûre, ma vie faisait sens. Je suppose (je rigole, je l’sais) qu’il me manquait de l’attention, de la présence, de l’écoute (ah, l’écoute…), mais je vivais à la campagne, avec mon frère, et la vie était une aventure. Les arbres, les ruisseaux, les chemins, l’herbe, les champignons, le chien, c’était magique. A l’école primaire, c’était cool. Je n’ai pas souvenir de mal-être ou d’angoisse (je pense pourtant que je devais en avoir, en famille). J’étais avec mon petit groupe de classe, nous étions peu nombreux, on jouait. On se faisait chier en peu parfois, mais franchement, ça allait. Il n’y avait pas de rapports de pouvoir, de clans, de jugements. C’est en tout cas le souvenir que ça m’a laissé.
Quand j’ai grandit, ça n’allait plus. A partir de 11 ans, j’ai commencé à être en contrôle de mon être. Ca a commencé avec un camp de vacances l’été de mes 11 ans. J’ai été plongée au milieu d’adolescents, je ne savais plus comment me comporter. Je n’arrivais plus à être. Et autant je pouvais continuer à être spontanée chez moi, autant j’ai commencé à ne plus avoir aucune spontanéité dans l’environnement avec les autres gamins de mon âge : à l’école ou en camps de vacances (le cauchemar). Ensuite, c’est descendu dans ma vie personnelle. J’étais angoissée tout le temps, dans le doute, incapable d’établir un contact spontané avec quelqu’un, à part mes parents et mon frère. J’ai commencé à me sentir mal avec mes grandes sœurs. A vrai dire, je suis devenue empruntée et en contrôle avec tout le monde.
Quand on est adolescent, on est plein d’énergie. Plein d’envies, de rire, d’interaction, d’aventures, de trucs interdits, de trucs nouveaux, d’histoires avec les garçons (ou les filles), d’intimité, de partage, d’échanges. On a aussi une grande part de mariole en nous, d’humour décapant, d’intensité intellectuelle, de capacité à s’enthousiasmer… et tout cela se fait en interaction avec les autres. C’est notre besoin.
Pour ma part, je n’y ai pas eu accès, ou bien peu. J’ai vécu mon adolescence dans une grande frustration. Une envie et une impossibilité à la vivre. Le monde et ses joies ne m’étaient pas accessibles. J’étais comme enfermée dans une tour. Raiponce quoi.
Quand la non-intensité renvoie à la mort
Parce que je vois cette énergie chez ma fille, cette folie en elle, cette magie, et que je vois en même temps comment la non réponse en face, l’absence de situations vibratoires commencent à la déprimer ponctuellement. Comment le spleen s’installe en elle. Comment l’idée de mort peut la traverser. Alors qu’elle n’est que vie.
Elle a quelques amies. Mais ça manque d’intensité. C’est en contrôle. C’est mou du genoux. Son intensité ne rencontre pas l’intensité en face. Elle s’ennuie. Elle s’ennuie à l’école, et elle s’ennuie à la maison (moins quand même). Enfin, elle ne vibre pas. L’intensité rencontre du vide.
Nous avons remarqué toutes les deux que le meilleur moment de ces dernières années, peut être de notre vie, ça a été les 15 jours qui ont suivi la mort de mon père. Nous nous sommes retrouvés à 15/20 (selon les jours) dans la maison familiale, frères, sœurs, neveux, oncles, tantes. Et c’était génial. On pleurait ensemble, on bouffait ensemble, on rigolait comme on n’avait jamais ri avant, nous étions présents et dans l’instant. Sans doute parce que les vannes étaient ouvertes, la tristesse nous traversait régulièrement, on pleurait. On ressentait. On vibrait comme un seul cœur. D’abord dans la tristesse, mais en tout finalement. Et c’était intense. C’était vivant.
Pourquoi pointer ça ?
Parce que c’est une grande douleur cette non-vie face à notre intensité à l’adolescence, et peut être pour certains, dans l’enfance.
C’est une grande douleur qui, comme d’habitude, n’a sans doute pas été pleinement accueillie et reconnue.
Elle l’est à présent. Dans ce moment sacré que j’aime où l’émotion, soutenue par la kundalini, monte en soi, ou une dissociation se fait entre l’émotion et celle qui observe, et où la compassion pour cette part en nous qui souffre et qui a souffert, prend la mesure de ce qui a eu lieu. De la souffrance de la frustration.
Ca donne des pleurs primaux, qui viennent du ventre, qui donnent des à-coups, qui se libèrent dans des spasmes où la respiration est suspendue, attendant de libérer l’énergie.
C’est une grande douleur qu’avoir de l’énergie, une intensité et de ne pas pouvoir la partager, la vivre. Avoir envie de voir du monde, de discuter, de danser, de rigoler, de s’amuser, de découvrir, de jouer… Et être coincé dans une immobilité atone.
C’est contraire à l’humain. Et c’est là où je veux en venir. C’est une grande contrariété faite à l’humain.
L’énergie doit circuler. Empêcher l’énergie de circuler est une invitation à la mort.
Boris Cyrulnik parle de cette absence de stimulation qui engourdit l’âme, éteint l’intérieur, et nous plonge dans une angoisse morbide.
« Quand on isole quelqu’un sensoriellement, cela restreint la stimulation de son cerveau. Il n’y a plus ce mécanisme régulateur de la présence de l’autre. Or les expériences prouvent que cette absence de stimulation cérébrale provoque des altérations neurologiques […], s’il n’y a pas d’alter ego, le cerveau s’éteint. Et si cela dure longtemps, cela provoque des angoisses et des décompensations psychologiques. »
Nous sommes humainement fait pour l’interaction et le partage de notre intensité intérieure.
Nous sommes nés à un drôle d’endroit
Rien que le fait que je le vive et que ma fille le vive me suffit à décréter que quelque chose ne tourne pas rond dans notre société. Je liste mais je sais qu’il est inutile de lister, nous le savons déjà, et honnêtement, ce n’est pas grave, ça fait partie de notre expérience humaine ici et nous en ferons quelque chose, assurément.
- L’école et son ambiance
- La dictature de l’image et de la confiance en soi
- Les rapports claniques, le jugement des autres
- L’absence de cadre pour exprimer son ressenti
- Le manque de bienveillance et sa non-organisation
- Le manque d’invitations à la vibration
- L’étouffement de la passion, du désir
- La famille mono-nucléaire
- Le manque de rencontres ouvertes
- L’absence de rituels collectifs
- L’isolement et l’indifférence à l’isolement (ou sa prise en charge étatique)
- Le catalogage dans la case « fragile’ « depressif » « phobie scolaire »
- Le traitement des symptômes par la chimie
- L’absence de sens, l’absence de lien avec le tout
- L’absence de reconnaissance quand il y a de la valeur
- etc.
Pourquoi j’en parle si on le sait déjà ? Parce que nous avons souvent le sentiment que c’est nous qui avons un problème. Que nous ne sommes pas assez, ou trop fragiles, ou handicapés, et que c’est ce qui explique la non-rencontre.
Mais cette rencontre, ce partage de l’intensité, certains peuples l’organisent. Ils la ritualisent. Car ils savent qu’elle est nécessaire.
J’ai beaucoup aimé le livre de Fredrerika Van Ingen à ce propos : Sagesses d’ailleurs…. Chez la plupart des peuples premiers, on voit comment tout s’organise pour ne laisser personne derrière. L’énergie est utilisée. L’intensité rencontre l’intensité. Ils organisent la rencontre pour que l’intensité puisse être vécue (rituels, danses, cérémonies).. Il n’y a pas de refoulement. Il y a de la canalisation. Mais pas de contention*.
L’autre point, c’est que ma fille est géniale. Je la connais. Elle n’est pas handicapée. Elle n’est pas insuffisante. Elle est toute vibrante et pleine d’intensité à l’intérieur. Et elle a parfois envie de mourir.
Alors, c’est un drôle de monde, non ?
Cette non-rencontre est là en nous
Mon point est de ne pas oublier cette souffrance, une fois adulte. De ne pas la sous-estimer. Nous savons qu’elle peut être libérée donc nous pouvons en parler. Mais l’intensité qui ne rencontre pas l’intensité, c’est une profonde douleur qui va avoir besoin d’accueil, même si nous n’en sommes pas toujours conscient au moment où ça se joue.
Tant qu’elle ne sera pas accueillie, elle nous donnera cette inquiétude permanente de ne pas vivre. D’être enfermé. Paralysé. D’observer la vie par le trou de la serrure. Et même quand on y est, même quand la situation nous offre la possibilité de l’intensité, on n’arrive plus à la vivre. Pas pleinement. On reste bouffé par la douleur à l’intérieur. Et la peur que ce soit éternel… Alors comment en profiter là quand on craint, quand on croit que ce sera un épi phénomène ?
Pourtant nous pouvons, et j’ai pu, ne plus ressentir ce désespoir de la non-vie.
En 2018, après quelques mois de pratique méditative (mantra Nam Myo Ho Renge Kio), quelque chose a changé. J’ai été ok pour ne pas vivre instantanément l’intensité car une profonde foi est montée en moi que ça viendrait de toute façon un jour. A l’heure dite.
C’était très bizarre, car avant mon désespoir était alimenté par la certitude inverse que que la non-vie continuerait éternellement. Que c’était ma malédiction.
Et à vrai dire, après quelques mois, je vibrais. Moi toute seule avec le cosmos, j’avoue.
J’ai pourtant vibré longtemps le désespoir de cette vie non vécue. Je vibrer non pas la frustration originelle, que j’aurais pu alors libérer, je vibrer le mental, la peur que ça continue éternellement. La certitude que je t’ai maudite. Comme l’explique Franck Lopvet, au lieu de vibrer le B12 de la frustration originelle qui m’aurait libérée, je vibrais le B14 du mental qui avait peur. Et qui attirait, entretenait exactement ce qu’il craignait le plus. Ah la fameuse B14… Celle qui nous fait pleurer éternellement sans rien résoudre de nos blessures, et surtout de notre vibration.
Bref.
En pratiquant, la vibration mentale B14 s’est arrêtée. J’ai soudain eu confiance. La fois s’est installé en moi. Malgré moi. Mais le stock énergétique de la frustration, il était toujours là…
Il a fallu du temps pour le libérer, pour le pleurer, pour le reconnaître, et pour y mettre toute ma compassion.
Et le travail n’est pas encore fini.
Il m’a fallu du temps pour reconnaître l’enfer que ça peut être, pour un enfant ou un adolescent, de se retrouver atone, sans terrain pour exprimer sa vibration, son énergie, son intensité.
Manifestations au quotidien
Il y a 2 manifestations que j’ai pu observer dans le passé et encore présentes par à coups, et qui témoignent de ce stock énergétique non libéré :
- Exiger l’intensité chez l’autre et être en réaction quand elle ne vient pas, qand elle ne peut être donnée. Il me faut soudain tout et tout de suite. Mon exigence sur la situation ou sur la personne devient pressante. Elle finit toujours de la même façon, elle m’amène déception et frustration. Et ainsi se succèdent exigences et déceptions. Puis réinvestissement, reprojection, et redéception, refrustration.
- Je suis possédée parfois par la peur d’oser l’intensité et de rencontrer un pschitt en face, surtout face à un groupe. Et d’autant plus quand je ne vois pas le groupe, quand je ne peux pas en sentir l’énergie directement (en particulier le à distance, où il y a là un flou nébuleux…). Je suis alors tétanisée par la certitude que mettre mes tripes sur la table ne rencontrera que indifférence. Voire même une forme de condescendance, ou de pitié… L’idée de l’indifférence me submerge et me fait reprendre éternellement le premier geste spontané de mon écrit (ce n’est jamais le cas dans les articles, pour le coup je m’en fous). Je transforme un premier jet dans son jus sans doute mais vibratoire en un texte retravaillé et maladroit, habité par la peur.
Transformer le plomb en or
Nous avons besoin de nourriture énergétique en face. De situations à la hauteur de notre intensité. Toute la question est : va t-on se contenter de faire semblant de l’avoir ? Ou va t-on la chercher là où elle est vraiment ?
La frustration non libérée nous amène des situations frustrantes. Des situations pas « à la hauteur » de notre intensité. Des situations auxquelles nous disons oui alors qu’à l’intérieur de nous, c’est non et ça devrait, évidemment, être non. Bref la frustration non libérée nous amène à accepter des situations qui ne nous nourrissent pas. Et nous nous échinons à transformer du plomb en or. C’est peine perdue (voir « Situations récurrentes | Quand l’émotion originelle nous aveugle).
Mais nous sommes tellement habitués à ne pas mériter mieux…
Quand on contacte son être profond
Quand on contacte notre être profond, on réalise qu’une situation ne nous apporte pas l’intensité voulue, et on essaie pas de transformer le plomb en or.
La foi nous permet de passer notre chemin. De ne pas nous échiner. La foie en la vie, la foie en soi aussi.
Pour moi, la transformation de mon regard est venu de la pratique par mantra. Parce qu’elle a canalisé ma kundalini. Pour d’autres ce sera autrement, je ne sais pas.
Elle m’a donné la capacité à prendre de la distance avec mes besoins non satisfaits dans l’instant sans projeter instantanément, mentalement, et émotionnellement, la malédiction incontournable, certaine dans le futur.
J’ai beaucoup de gratitude envers cette pratique. J’ai souvent arrêté. J’y reviens. Mais c’est un repère quand le personnage, l’identité souffrante reprend trop le pouvoir.
Exercice d’observation
Identifier la non-énergie : où metyons-on nous, où avons-nous mis beaucoup d’énergie, beaucoup d’intensité sans nous sentir pleinement nourri(e) en retour ?
Travail, associatif, relation, clients, amours, amis …
Repérer l’empreinte : dans cette intensité qui n’est pas nourrie en retour, la frustration ressentie a t-elle un goût de déjà vécu ? Quelle est la première image de l’enfance qui nous vient ?
Nous pouvons aussi acter, reconnaître que ce que nous n’avons pas vécu, que ce qui nous a pas été donné pour nourrir notre cœur, notre vibration, et donné et organisé dans une civilisation qui prend soin de l’âme. Ce n’est pas le cas de la notre. Histoire d’évacuer la question de la responsabilité personnelle 🙂
Et ensuite, ressentir l’émotion, la tristesse, le manque, peut-être la colère, lui donner crédit, et mettre de la compassion. Pour soi. Et pour tous ceux qui ont vécu la même souffrance.