Au service de notre entreprise
En accompagnant il y a quelques temps une cliente qui avait une vraie problématique de débordement (ce que j’ai bien connu), j’ai eu la pensée soudaine que, sans nous en rendre compte, nous nous mettions au service de notre entreprise sans questionner le pourquoi de ce sens unique. Nous travaillons d’arrache-pied, parfois le soir, le weekend, nous disons oui à tout, à l’administratif, aux clients, aux tâches qui s’accumulent, à tout ce que notre activité peut générer comme actions de communication, commerciales. Sans questionner notre volonté. Et le sens de tout cela. Tout cela est-il nécessaire pour faire notre chiffre d’affaires ? Et faire du chiffre d’affaires, est-ce l’unique objectif sur lequel nous sacrifions tout le reste, y compris notre joie ? Avons-nous créé notre entreprise pour renouer avec les injonctions du salariat ?
Et pourtant, qui est au service de qui ? Sommes-nous au service de notre entreprise ? Est-elle un nouvel employeur auquel nous devons nous soumettre ?
Une contrainte déconnectée de toute aspiration
Je me suis interrogée et j’ai réalisé que nous étions tous dans un formatage qui nous poussait à nous contraindre vis à vis de notre activité alors qu’elle ne nous demande rien : notre entreprise, c’est nous. On pourrait supposer que cette contrainte auto-administrée serait reliée à une nécessité économique. Mais en fait, rarement. La contrainte peut avoir lieu dans un contexte de chiffre d’affaires suffisant, voir important. Elle peut aussi être déconnectée de la génération de chiffre d’affaires. Par exemple le fait de se poser des deadlines de production contraignantes alors que les clients ne les exigent pas, ou le fait de s’astreindre à certaines actions qui ne sont clairement pas décisives pour le CA (publier sur Facebook, animer des événements gratuitement, passer du temps sur des actions peu rémunératrices, etc).
Une injonction non questionnable
Ce qui est surprenant, c’est qu’on peut souffrir beaucoup de cette contrainte, sans même envisager qu’elle soit questionnable. Et ce qui est intéressant dans cet automatisme, c’est qu’il fait écho à de nombreux autres automatismes que l’on a pu s’imposer sans questionner, ou rapidement, le temps d’un éclair dans la tête, pour ensuite plier. Comme quoi ? Comme s’astreindre à s’asseoir 8 heures par jour dans une classe en supposant que c’est ok, comme abattre tout le travail que l’on nous dit d’abattre, sans sens ou sans reconnaissance, en supposant que si on faiblit…. c’est qu’on est faible. Comme s’astreindre à ne pas être triste ou en colère car apparemment, on devrait être heureux, apaisé, content, satisfait, zen, travailleur, calme, alors que l’on ressent tout autre chose… Bref, des injonctions non questionnées, nous pouvons en trouver beaucoup… Et nous n’avons conscience que de celles que nous avons déjà débusquées… Quelle est la taille de l’océan derrière ?!
C’est d’autant plus marrant et confrontant que l’on peut toujours accuser l’extérieur tant qu’on est élève, étudiant ou salarié, mais quand on est indépendant, qui accuser ? Il n’y a plus que nous.
L’injonction et le jugement
Dans le cas de notre activité, on peut détecter que nos injonctions intérieures, celles qui nous poussent à nous soumettre à l’emballement de notre entreprise malgré la souffrance que ça génère, sont associées à un jugement de nous-même si on ne fait pas. Si on n’agit pas, si on n’embraye pas, on est alors à nos yeux, et l’impression consciente peut être très fugace mais très impactante à l’intérieur, faignant, procrastineur, faible, hésitant, en manque de confiance, pas assez fort, dans le doute, trop dans la peur, nul même 🙂 Et si on ne veut pas être tout ça, on doit agir. S’y coller, absorber, faire. Dire oui. A tout. Et surtout pas questionner. Car comment oser questionner ce que personne ne questionne autour de nous ? Ce serait d’un fol orgueil (mais en fait on a raison, chut…).
Il y a TOUJOURS une bonne raison
Or je n’y crois pas. Quand on ne fait pas, il y a une bonne raison. Notre corps, notre esprit a une bonne raison. Il peut avoir peur. Il peut avoir besoin d’un sens qu’il ne trouve pas. Il a une BONNE RAISON. La peur demande à être écoutée. Car elle est justifiée. Ça ne veut pas dire abandonner, ne pas faire, ça veut dire écouter ce qu’elle nous dit de nous. Car c’est cela, l’intéressant, ce qu’elle dit de nous et de ce que nous avons à travailler à l’intérieur. Faire n’est qu’une conséquence de ce travail.
Le sens est notre carburant principal. Il n’a que peu d’impact dans notre parcours personnel, d’élève, de salarié. Il passe inaperçu. Et pourtant il fait tout. On peut faire semblant de sa non-existence pendant un temps. Quand on est indépendant, on ne peut plus faire abstraction. Car sans sens, pas de chiffre d’affaires. Et pas de salaire ou de Pole emploi pour combler.
Quoi, on ne doit pas faire ? Non, on doit avoir envie de faire, et on n’a envie que quand ça fait sens pour nous, profondément à l’intérieur. Ne pas faire, ne pas arriver à faire, c’est juste refuser d’écouter l’intérieur et ce qu’il a de juste à nous dire sur nous.
Notre entreprise, un outil de découverte de soi
J’ai eu un échange intéressant dernièrement, au cours d’un atelier avec une entrepreneuse plutôt « successfull » que j’avais connue il y a quelques années, avant qu’elle ne s’installe. C’était intéressant parce que dans ce simple échange de deux « experts », face à des créatrices venues pour une méthodologie de la création, nous avons eu un bug de quelques secondes. Alors que nous parlions de choses banales dans le fait de se lancer, nous avons soudain réaliser que nous ne mettions pas le même but à la création et au développement d’une entreprise, alors que celui-ci nous apparaissait évident pour l’une comme pour l’autre. Et si le but n’est pas le même, autant vous dire que plus rien ne colle ensuite (et d’ailleurs rien ne collait !!).
Son but était de réussir. Je suppose que l’atteinte de l’objectif de réussite peut être « sanctifié » par la réalisation d’un panel d’indicateurs : par exemple gagner plus de 3 000 € par mois, recruter, avoir des « collaborateurs », être reconnu par ses pairs (j’ai eu l’impression que le regard des pairs avait d’ailleurs plus d’importance que celui des clients, ce qui nous parle dans ce cas de blessure de non reconnaissance, et non de valeur, mais c’est un autre sujet). A son évocation des indicateurs de réussite, j’ai spontanément répondu, sans contrôle : « Oui mais la réussite, on n’en a rien à f***** ». Il y a eu un silence de quelques secondes où on s’est contemplée, un peu interloquée toutes les deux. Puis elle a dû répondre quelque chose comme : « Comment ça on s’en fout ? Ben on cherche quoi alors ? ». Je n’ai pas répondu, le combat s’annonçait rhétorique, donc inutile. Rien, sauf crise aiguë, ne peut nous faire accepter de remettre en cause nos fondements. C’est comme changer d’opinions politiques : c’est extrêmement inconfortable au début (puis jouissif ensuite, comme toute vérité que l’on découvre) et il faut vraiment être bouleversé émotionnellement pour remettre en question ce qui était acquis depuis pourtant si longtemps. La conversation a donc repris, tranquille, instable.
Bref, mon point de vue, c’est que la course à la réussite est un leurre.
Alors, à quoi sert-elle notre entreprise, si ce n’est pas de réussir ?
Je n’en vois qu’un pour l’instant : à nous découvrir nous-même. A prendre conscience de nos injonctions personnelles, de nos peurs, des pansements que l’on convoite sans relâche (argent, reconnaissance, admiration, image sociale, etc.) pour bâillonner la douleur non reconnue en nous. A découvrir ce que l’on veut vraiment.. Pas ce que veulent papa ou maman, ou la société. Juste nous.
Oui mais cette entreprise doit nous nourrir ? Rapporter de l’argent ? Nous mettons une pression financière extraordinaire sur notre activité, alors qu’il s’agit tellement d’une aventure personnelle qui pourrait être dissociée (qui peut, ou non, mais la question mérite d’être posée) de l’injonction de rentabilité. Bien sûr le but est de gagner de l’argent. Mais la peur qui tourne autour nous rend fou ! Or ce n’est que de l’argent, et l’argent peut aussi venir par un autre canal, un job alimentaire complémentaire. Et c’est ok tant qu’on y voit un sens. Si on comprend à quoi nous sert notre activité, dégager un revenu par ce biais ou par un autre biais est ok, puisque gagner de l’argent avec cette activité n’est plus le but ultime. C’est juste une composante de stabilité qu’on gère.
Si notre entreprise ramène de l’argent là, maintenant, c’est bien. SI ce n’est pas encore le cas, la pression financière et la peur associée n’aboutiront pas à ce à quoi on aspire, c’est à dire nous découvrir et mettre dans la conscience dans les difficultés qu’on rencontre. Le travail de découverte de soi se fera dans la douleur, si découverte il y a. Diminuer la pression financière sur notre activité, et en tout cas la peur de manquer est un objectif essentiel. Et la seule façon de diminuer la peur est d’entrer dans la peur. Pleinement.
Une expérience unique et non calquable
Avoir une entreprise est une aventure personnelle qui ne peut JAMAIS ressembler à celle des autres. Nous y travaillons chacun que ce que nous avons à travailler. Et je le vois chez mes clients. Nous avons tous des enjeux et des failles différents. Mais ça ne se voit pas de l’extérieur. De l’extérieur, notre formatage nous impacte encore. Ainsi on aura tendance à penser que tel entrepreneur qui réussit à développer son chiffre d’affaires a tout réussi. Mais en vrai, n’est-il pas, lui aussi, en quête du pansement absolu pour combler ses blessures ? Derrière cette réussite, est-ce qu’il ne se sent pas débordé, contraint, esclave ? Peut être sent-il qu’il passe à côté de l’essentiel. Peut-être la course à l’image, à l’argent lui fait-il oublier le sens de ce qui l’anime profondément. Qu’il y ait réussite ou non, quand la réussite devient l’objectif principal, on est esclave.
La réussite n’est que la conséquence de notre quête de nous-même.
La quête de reconnaissance ne se résous qu’en accueillant la tristesse de l’enfant qui n’a pas été reconnu pour ce qu’il était vraiment et qui sait pourtant, au fond de lui, que cette reconnaissance, il la méritait.
La réussite c’est relatif. Je ne vois pas la création d’entreprise comme un moyen d’apprendre de moi-même car je peux le faire sans.
Par contre, c’est pour moi un accès à la vie que j’ai envie de vivre et je considère que mon entreprise doit être au service de la réalisation de mes rêves.
Pour moi l’entreprenariat est synonyme de liberté. Liberté d’actions et liberté de choix, mais aussi liberté d’organisation et de temps de travail.
Je considèrerai que mon entreprise est une réussite quand elle me permettra de vivre la vie que j’ai envie de vivre, en accord avec mes valeurs et ma vision de la vie.